La critique récente émise par un membre du Congrès américain à propos du financement du Hamas par des propriétaires qataris d'Al-Jazeera America a relancé le débat au sujet de l'intégrité des journalistes de la chaîne.
Le député démocrate de Californie, Brad Sherman, membre de la commission des affaires étrangères de la Chambre, a aussi vivement critiqué, lors de son apparition du 9 juillet sur Al-Jazeera America, la façon dont la chaîne a couvert les derniers combats en date entre le Hamas et Israël.
« Chacune de ces roquettes [lancées par le Hamas contre Israël] est un crime de guerre, pratiquement chacune d'elles », a déclaré Sherman, en faisant remarquer que le Hamas cherche à frapper des cibles civiles. « Il est clair qu'il s'agit d'un crime de guerre commis par le Hamas. Et il est tout aussi clair que les détenteurs de cette chaîne de télévision aident à financer le Hamas. »
Depuis des années des bruits courent au sujet de l'immixtion de certains membres de la famille royale qatarie dans les décisions éditoriales de la chaîne sœur anglophone Al-Jazeera basée au Qatar. Un télégramme du Département d'État datant de décembre 2009 déclarait que le Qatar utilisait Al-Jazeera comme « un outil informel … de politique étrangère. »
Ce manque d'indépendance éditoriale s'est révélé en 2011, lorsque des supérieurs qataris ont donné l'ordre de rééditer une vidéo de deux minutes diffusée sur Al-Jazeera en anglais. Les responsables de la chaîne qatarie ont fait modifier l'extrait pour être sûrs que les commentaires du cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani aux Nations Unies dominent l'extrait, bien que des membres de l'équipe aient jugé les commentaires d'Al-Thani moins important que ceux d'autres intervenants de ce jour-là, comme le président Barack Obama.
Al-Jazeera America, qui tend à prendre ouvertement ses distances d'avec ses parents qataris, présente son action comme « un journalisme objectif, factuel,… approfondi. » Néanmoins un simple regard sur sa couverture du conflit actuel à Gaza remet ses déclarations d'objectivité en question.
La tendance pro-Hamas de la chaîne s'est révélée dans toute sa démesure au sujet des morts parmi les civils palestiniens, une question traitée sans pratiquement aucune mention critique de l'utilisation intentionnelle par le Hamas de boucliers humains, un acte pourtant considéré comme un crime de guerre par le droit international.
De la même manière des reporters d'Al-Jazeera America n'ont fait que quelques rares allusions tant à l'utilisation par les terroristes de zones densément peuplées pour tirer des roquettes qu'aux avertissements lancés par Israël aux civils pour quitter les zones visées avant les bombardements.
À titre d'exemple, un extrait du 15 juillet de l'émission « Consider This » ayant pour thème la situation désespérée des enfants palestiniens de Gaza. Le modérateur Wajahat Ali a oublié de dire à quel point le groupe terroriste met la vie des enfants en danger. Ali a invoqué, comme un mantra, la densité de population dans la bande de Gaza sans faire une seule allusion au fait que le Hamas utilise des mosquées et des bâtiments civils pour lancer ses roquettes.
Lors de son apparition sur la chaîne, Sherman a aussi vivement critiqué Al-Jazeera America pour avoir négligé de parler de la menace du Hamas pour les civils israéliens au motif que leurs roquettes n'avaient tué personne dans un jardin d'enfants en Israël.
À ce propos, Sherman a dit : « Vous déclarez sur cette chaîne de télévision : "Eh bien, il ne s'agit peut-être pas d'un crime de guerre puisque elle n'a pas atteint sa cible : la roquette n'a pas frappé de jardin d'enfants – elle visait un jardin d'enfants mais ne l'a pas atteint – donc ce n'est pas répréhensible" ».
Les responsables américains qui nourrissent depuis des années des inquiétudes à propos de la famille royale du Qatar, sont même intervenus pour arrêter une partie des fonds destinés au Hamas.
Un télégramme confidentiel du Département d'État datant de 2006 décrit l'ancien émir du Qatar Hamad bin Khalifa Al-Thani, qui a financé Al-Jazeera par décret royal en 1996, comme « un grand ami du Hamas ». Lors de sa visite d'État en octobre 2012, il s'est notamment engagé à verser 400 millions de dollars au gouvernement gazaoui désargenté. Cependant, des rapports récents indiquent que les États-Unis ont bloqué le transfert d'argent au Hamas.
En 2006, Al-Thani avait donné 50 millions de dollars à l'Autorité palestinienne dirigée alors par le Hamas.
Al-Thani a certes abdiqué en 2013 en faveur de son fils mais ce changement n'a pas fait baisser les engagements financiers du Qatar en faveur du Hamas. Le Premier ministre du Qatar, Abdullah bin Naser bin Khalifa Al-Thani a annoncé en juin que le Qatar donnerait 60 millions de dollars au Hamas pour payer les salaires de ses fonctionnaires à Gaza.
Ce genre de soutien ouvert frustre les diplomates américains.
Dans un télégramme secret de 2009 adressé à Washington, l'ambassadeur américain au Qatar, Joseph E. Lebaron écrivait : « Les responsables devraient faire connaître les préoccupations du gouvernement américain au sujet du soutien financier apporté au Hamas par des organisations caritatives qataries et nos préoccupations au sujet du soutien moral que le Hamas a reçu de Youssef al-Qaradawi [un religieux populaire membre des Frères Musulmans et vivant au Qatar]. » Il a également fait savoir clairement qu'un « soutien politique qatari de haut-niveau est nécessaire » pour réduire le financement du terrorisme.
En 2003, le chef du politburo du Hamas, Khaled Meshaal, a déclaré au quotidien Al-Hayat que le Hamas a reçu la plupart de ses fonds au Qatar par l'intermédiaire d'organisations caritatives ou de comités populaires.
À deux reprises le Qatar a accordé l'asile à Meshaal devenu indésirable ailleurs. La Jordanie l'a expulsé en 1999 et, en 2011, il a dû quitter Damas après la dégradation des relations survenue entre le Hamas et le régime d'Assad à propos de la guerre civile en Syrie. Depuis des années, le Qatar autorise le Hamas à avoir des bureaux à Doha.
La Qatar Charity, anciennement dénommée Qatar Charitable Society, également contrôlée par la famille royale qatarie, est soupçonnée depuis longtemps d'entretenir des liens étroits avec le Hamas. Un télégramme secret de 2003 suggère que l'association caritative avait probablement des liens avec le Hamas. Selon le Daily Mail, cette association a collaboré avec le Ministère de l'Éducation du Hamas en 2009 pour la construction d'écoles qui endoctrinent les enfants avec de la propagande djihadiste.
En 1993, Oussama Ben Laden parlait de la Qatar Charity comme d'une importante source de financement d'Al-Qaïda, soulignant ainsi la longue expérience de l'association en matière de financement du terrorisme.
En permettant à Qaradawi qui dirige l'Union of Good, d'agir à l'intérieur de ses frontières, le Qatar donne un exemple supplémentaire de son implication dans le financement du Hamas. Lors d'une conférence de presse donnée en novembre 2008, de hauts responsables du Département américain du Trésor ont déclaré que les dirigeants du Hamas ont créé l'Union of Good en 2000 peu avant le début de la seconde intifada afin de « faciliter le transfert de fonds vers le Hamas. »
Sur la chaîne Al-Jazeera en arabe, Qaradawi a animé une émission dans laquelle il encourageait les attentats-suicides palestiniens.
En janvier 2013, Al-Jazeera America a été créée à la suite de l'achat de Current TV par Al-Jazeera Media Network à l'ancien vice-président Al Gore et à d'autres investisseurs. Les inquiétudes sont nées presque immédiatement quant à l'utilisation d'Al-Jazeera America par le Qatar comme d'un outil de propagande.
En mai, Ehab Al-Shihabi, directeur général par intérim d'Al-Jazeera, a répliqué fermement à ces accusations en déclarant au Paley Center for Media : « Je ne suis pas le Qatar. Je ne représente pas le Qatar. Je suis indépendant du gouvernement du Qatar. J'ai pris une concession comme celle qu'a la BBC ». Et il a ajouté : « L'ensemble du projet a vraiment été développé avec des avoirs d'Al-Jazeera Media Network et si je ne parviens pas à développer l'entreprise à partir de ces avoirs cela veut dire que je ne suis pas un homme d'affaires correct. »
Hormis Al-Shihabi, tous les cadres de la chaîne sont des Américains qui ont travaillé auparavant pour des chaînes américaines telles que CNN ou ABC.
Malgré tous ces engagements américains, les questions demeurent à propos de l'indépendance éditoriale et des tendances d'Al-Jazeera America.
Christopher Harper, professeur de journalisme à la Temple University et journaliste spécialiste du Moyen-Orient depuis 1979, écrivait dans un article peu après le lancement de la chaîne en août dernier qu'Al-Jazeera America ne traitait pas de journalisme mais que ce concept lui rappelait surtout la propagande soviétique. Al-Jazeera America a donné au Qatar « un siège à la table politique des États-Unis » selon Harper qui ajoutait qu'il était improbable de gagner de l'argent sur un marché de l'information par câble saturé.
Jusqu'à présent ses propos se vérifient. L'audience de la chaîne s'est révélée quasiment inexistante, s'élevant en moyenne à 15.000 téléspectateurs en prime time.
L'absence de critique dont Al-Jazeera America a fait preuve face à la tentative du Council on American Islamic Relations (CAIR), lié au Hamas, d'affaiblir la liste de surveillance du terrorisme, est un exemple de traitement partial de l'information. Le FBI a rompu tout contact avec le CAIR en 2008 après avoir révélé la preuve selon laquelle le CAIR et ses fondateurs étaient liés à un réseau de soutien au Hamas. Un juge fédéral a également rendu en 2009 un verdict établissant « au moins un commencement de preuve de l'implication du CAIR dans un complot visant à soutenir le Hamas. »
Le 25 juin, John Siegenthaler Jr., présentateur d'Al-Jazeera America, a interviewé Lamis Deek, membre du conseil du CAIR pour New York au sujet de la décision rendue par un juge fédéral et selon laquelle la liste de surveillance est inconstitutionnelle. Siegenthaler, qui n'a jamais interrogé Deek sur les implications de la décision de justice au niveau de la sécurité nationale, semblait avoir de la sympathie pour la position du CAIR.
Harper a déclaré à l'Investigative Project on Terrorism : « Je pense que cela ne nous donne qu'un son de cloche. Cela n'atteint pas l'ampleur de la propagande soviétique mais d'un côté il s'agit bien de propagande. »
Le 10 juillet, la diffusion, sur la chaîne, de l'émission « Inside Story » animée par Ray Suarez, qui fut longtemps journaliste sur la radio publique nationale, illustre à nouveau cette tendance.
Suarez essayait de parler de l'échec des pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens, sauf pour une partie essentielle de l'histoire – à savoir quelqu'un pour présenter le point de vue d'Israël.
Suarez et ses trois invités s'accordent sur le fait que la paix ne sera possible que si Israël coopère avec l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
Aucun des invités, que ce soit Gershon Baskin, directeur de l'Israel-Palestinian Think Tank, Aziz Abu Sarah du Middle East Justice & Development Initiative ou encore l'ancien ambassadeur américain en Égypte Dan Kurtzer n'ont fait aucune allusion au refus du Hamas de renoncer à la violence et à son objectif de détruire d'Israël, aucune allusion aux provocations de la part de membres de l'Autorité palestinienne qui qualifient Israël de « terres de 1948 » occupées, aucune allusion aux déclarations d'Abbas qui, depuis 2009 déjà, se dit solidaire avec le Hamas.
Suarez, faisant remarquer que Baskin avait pris contact avec le Hamas, s'est mis à lui demander comment il entreprendrait les négociations de paix avec le groupe terroriste, tout en négligeant le fait que la charte du Hamas et de récentes déclarations montrent que le groupe n'a aucune envie de faire la paix avec Israël. L'invité a alors parlé du terrorisme palestinien comme de la « lutte armée » – expression utilisée par les dirigeants du Hamas pour définir leurs attaques contre les Israéliens.
Abu Sarah a suggéré que les Palestiniens considèrent la solution d'un seul État dans lequel Palestiniens et Juifs vivraient côte à côte – ce qui « signifierait la fin de l'État juif », a-t-il dit.
Les penchants politiques de Suarez sont connus depuis des années. En avril 2007, il était la voix-off d'un documentaire de la chaîne PBS intitulé « America at a Crossroads : The Muslim Americans » et qui rejetait l'existence de liens entre le CAIR et les terroristes en attribuant cette allégation à « une petite bande de conservateurs pro-israéliens qui accusent le CAIR d'avoir des projets extrémistes. »
Suarez a dit : « On prétend également que certains membres du CAIR ont des liens avec les terroristes. Or il n'y a aucune plainte liée au CAIR proprement dit. »
Des informations sur les positions extrémistes du CAIR étaient pourtant facilement disponibles au moment de la diffusion du documentaire. Elles concernaient l'appui apporté au Hamas en 1994 par le directeur exécutif du CAIR Nihad Awad, les condamnations de dirigeants du CAIR tels que Randal « Ismail » Royer et Ghassan Elashi, ainsi que l'opposition aux enquêtes sur le terrorisme.
Le journaliste conservateur Cliff Kincaid, qui se demande pourquoi Al-Jazeera America continue d'agir malgré les liens du Qatar avec le terrorisme, soutient que la chaîne devrait être signalée comme outil de propagande étrangère.
Kincaid a dit : « L'entrée d'Al-Jazeera dans le paysage médiatique américain, en violation de la loi, équivaut à donner les moyens de diffusion américains durant la Deuxième Guerre mondiale à "Tokyo Rose" ou à "Axis Sally". Ses diffusions en Amérique ne sont pas signalées par les fournisseurs par câble et par satellite comme de la propagande étrangère conformément à la loi sur l'enregistrement des agents étrangers. De plus la transaction n'a pas été signalée à la Commission sur les investissements étrangers aux États-Unis, dépendant du Département du Trésor, ce qui constitue une violation de la loi. »
Il est évident que les accointances terroristes des propriétaires qataris d'Al-Jazeera America devraient faire l'objet d'une surveillance accrue de la part des autorités compétentes et des membres du Congrès car de nombreuses questions demeurent sans réponse en ce qui concerne l'indépendance de la chaîne vis-à-vis de tout contrôle étranger.