Peu de juifs européens parlent ou comprennent bien l'arabe. Mais il y a une phrase que beaucoup d'entre eux ont apprise récemment : « Khaybar, Khaybar ya-Yahud, jaish Muhammad saya'ud. » Ces mots renvoient à la bataille de Khaybar durant laquelle le prophète Mahomet a massacré et réduit en esclavage des centaines de juifs, dont des femmes et des enfants. « Muhammad est de retour pour vous ». Ces mots, qui signifient une menace de mort pour les juifs partout dans le monde, sont hurlés de plus en plus souvent ces derniers temps dans les rues de Paris, Londres, Amsterdam et Berlin.
Le pire c'est que cela se limite de moins en moins à une simple menace : les juifs sont attaqués dans leurs synagogues, leurs magasins et même dans leurs maisons, ce qui fait de ces événements l'un des pires épisodes de la violence antisémite ayant frappé l'Europe depuis l'Holocauste.
Et la plupart des experts pensent que la situation va empirer.
Depuis le début des derniers affrontements entre Israël et le Hamas, le 8 juillet dernier, des groupes de musulmans européens (et certains mouvements de gauche européens) ont entrepris des manifestations violentes visant non seulement à soutenir la Palestine (ou l'EIIL, comme ce fut le cas lors d'une manifestation à La Haye), mais aussi à appeler à la destruction des juifs. « Égorgez-les », scandaient les musulmans lors d'un rassemblement pro-palestinien à Paris, le 26 juillet. « Mort aux juifs. » À La Haye, un groupe de jeunes d'origine marocaine, nés pour la plupart aux Pays-Bas, répétaient le refrain désormais familier : « Hamas, Hamas, tous les juifs au gaz » ainsi que de nouveaux slogans : « Ithbah ya Yahud » (« Massacrez les juifs ») et « Khaybar Khaybar ya-Yahud ».
Résultat : plus de 130 incidents antisémites, dont certains violents, ont été répertoriés au Royaume-Uni durant le seul mois de juillet – soit le deuxième nombre le plus élevé enregistré. Aux Pays-Bas, où les juifs sont de plus en plus nombreux à quitter le pays, la moyenne normale de trois cas d'antisémitisme par semaine a explosé à plus de 70. Le nombre de juifs français en partance pour Israël est en passe d'atteindre un niveau record. Des juifs se font agresser dans les rues, des synagogues et des maisons juives sont incendiées.
Mais ce que les responsables européens se plaisent à ignorer c'est que la haine n'est pas née du jour au lendemain et qu'elle n'a pas simplement surgi au moment où les premières roquettes étaient tirées depuis la Bande de Gaza contre Israël ni quand des extrémistes juifs, en représailles à l'enlèvement et au meurtre de trois jeunes Israéliens, ont enlevé et tué un jeune Palestinien. Les récents événements en Israël et à Gaza n'ont constitué qu'un prétexte, une opportunité pour cracher le venin qui coule dans leurs veines depuis des années voire depuis toute leur vie. Mais l'Europe – ses professeurs, ses gouvernements, ses associations de quartiers, ses bibliothèques – n'a absolument rien fait pour changer cette réalité.
Au contraire, de nombreuses écoles néerlandaises et britanniques ont capitulé face aux demandes d'étudiants musulmans de ne plus parler de l'Holocauste lors des cours, « sinon… » (Selon Esther Voet, directrice exécutive du Center for Information and Documentation Israel [CIDI], une association juive pour les droits de l'homme basée aux Pays-Bas, un professeur sur cinq dans le pays a arrêté d'enseigner la Shoah. Et ceux qui le font encore ont souvent eux-mêmes des préjugés antijuifs). Le fait que les étudiants ne sont pas arrêtés pour leurs menaces à l'encontre de la vie de professeurs, leur montre qu'il est facile d'attaquer les juifs et que personne ne s'inquiète vraiment de prendre leur défense.
C'est pour cette raison qu'aucun garde n'assurait la sécurité du Musée juif de Bruxelles quand, le 24 mai, le Français Mehdi Nemmouche, tout juste revenu du front de Syrie, en a franchi la porte, a sorti un fusil mitrailleur et a tué quatre personnes (dont trois meurent sur le coup, la quatrième victime devant décéder de ses blessures peu après). C'est pour cette raison que la police de La Haye n'a rien fait pour arrêter les manifestants pro-EIIL le 26 juillet et que le maire de la ville a insisté sur le fait qu'il n'y a eu « aucune débordement » de la part de ceux qui scandaient « mort aux juifs ».
C'est pour cette raison que le gouvernement néerlandais ne sécurise pas les organisations, les bâtiments et les rassemblements juifs. Les frais liés à la sécurité sont assumés par les juifs eux-mêmes.
C'est pour cette raison qu'en 2013 un ado turco-néerlandais a dit à celui qui l'interrogeait sur la chaîne de télévision nationale qu'il était « enchanté » de ce que Hitler avait fait et que le fait que des femmes et des enfants avaient également été tués ne lui faisait rien : ils étaient juifs. Quand il parlait, ses amis assis à ses côtés, hochaient la tête en signe d'approbation.
C'est pour cette raison que, malgré le fait que des séparatistes russes en Ukraine ont probablement fait exploser un avion de la Malaysian Airlines, tuant près de 300 Néerlandais et 24 Australiens, il n'y a eu aucun récit d'agression exercée sur des Russes vivant en Australie ou aux Pays-Bas. Personne n'a incendié leurs maisons. Personne n'a prié pour qu'ils meurent.
Et c'est pour cette raison que, désormais, l'Europe voit se lever une vague d'antisémitisme dont beaucoup disent qu'elle est la pire depuis la Deuxième Guerre mondiale.
À titre d'exemples, depuis le 1er août, des reportages ont montré ce qui suit (une liste plus complète peut-être consultée ici) :
- • En France, huit synagogues ont été attaquées en l'espace d'une semaine.
- • En outre, le Sunday Times Leader rapporte que le 20 juillet « une bande de 400 personnes armées de cocktails Molotov a fait irruption dans le principal faubourg juif parisien de Sarcelles pour s'en prendre à une synagogue, à une pharmacie et à un supermarché casher. Leurs étendards sur lesquels on pouvait lire « Mort aux juifs » et « Tranchez la gorge des juifs » faisaient froid dans le dos. Le supermarché a été réduit en cendres.
- • À Hambourg, le 19 juin, des manifestants ont agressé un homme juif âgé de 83 ans lors d'un rassemblement pro-israélien organisé en solidarité avec les trois jeunes enlevés et tués par des Palestiniens. Lorsque sa fille est venue à son secours, ils l'ont battue elle aussi.
- • À Wuppertal, en Allemagne, un Palestinien âgé de 18 ans a été arrêté le 31 juillet pour avoir lancé trois cocktails Molotov contre la Bergische synagogue. À ce propos le London Times observe que « le caractère symbolique de la cible n'a pas échappé à la communauté juive qui a rebâti l'édifice réduit en cendres lors de la Nuit de Cristal, le pogrom organisé en novembre 1938 par les Nazis contre les juifs. »
- • Une semaine plus tôt, rapporte le Washington Post, « Israel Daos, un juif orthodoxe timide de 18 ans a été frappé au visage alors qu'il se rendait dans une synagogue du centre de Berlin. Daos, qui décrivait ses agresseurs comme étant « arabes ou turcs », a dit : « J'entendais ce que disaient les manifestants car ils passaient non loin d'ici, et je les ai entendus crier Mort aux juifs ! Mais je ne pensais pas que les choses allaient mal tourner. »
- • Aux Pays-Bas, des participants à un rassemblement pro-EIIL organisé à La Haye scandaient un chant rimé appelant au meurtre des « juifs des égouts » et entonnaient le refrain de « Khaybar ». La police n'est pas intervenue.
- • Le 30 juillet, Seraphina Verhofstadt, une femme juive vivant à Amsterdam, a été rouée de coups après avoir suspendu un drapeau israélien à son balcon. Ses agresseurs, a-t-elle déclaré, lui « ont piétiné le ventre, frappé les côtes et la tête. » L'incident s'est produit à peu près au moment où ces vandales ont incendié la maison de Leah Rabinovitch, né au Mexique, en criant : « Les juifs doivent mourir. Hitler reviendra. »
D'autres Néerlandais font usage de mots plutôt que de violence. « Il n'y a jamais eu autant d'antisémitisme sur Internet », annonçait fin juillet le journal de la chaîne AT5. Le mois dernier, le Centre d'information sur la discrimination aux Pays-Bas a observé davantage d'antisémitisme sur Internet que durant les 17 années de son existence.
Au Royaume-Uni, où les incidents antisémites ont augmenté d'un tiers durant les six premiers mois de l'année – et sont en augmentation depuis le début des opérations actuelles à Gaza – la Jewish Chronicle a prévenu que « 2014 sera, en matière d'antisémitisme, probablement l'une des pires années jamais enregistrées dans ce pays. »
La situation n'est pas meilleure en Belgique, malgré la préoccupation affichée à propos des meurtres au Musée juif. À Anvers, par exemple, on a dit à une femme juive qui se rendait dans un magasin : « On ne vend pas aux juifs. » Sur la fenêtre du magasin, une affiche en français et en turc indiquait : « Les chiens sont les bienvenus. Pas les juifs. »
Deux semaines plus tard, toujours à Anvers, un médecin a refusé de soigner une femme juive qui souffrait d'une côte fracturée en disant à son fils : « Envoyez-la quelques heures à Gaza. Après, elle ne ressentira plus la douleur. »
Sur France 24, dans un débat sur le conflit entre Israël et Gaza, la journaliste allemande Ulrike Koltermann suggérait que les juifs avaient provoqué l'attentat du 13 juillet contre la synagogue de Paris en raison des fidèles qui « priaient pour Israël ». Qui plus est, a-t-elle ajouté, des membres de la Ligue de Défense juive ont riposté. L'un des autres invités du débat, le rédacteur en chef de Causeur Gil Mihaely, lui-même juif, lui a rétorqué sèchement et d'une façon sarcastique : « Les juifs ont riposté ?! Quel scandale ! »
Le modérateur n'a rien dit.
Lors du même débat, Janine Di Giovanni, chef du Bureau du Moyen-Orient de Newsweek, a accusé Israël de mensonge et a qualifié de « mythes » entretenus par Israël les informations selon lesquelles les Palestiniens utilisent des boucliers humains et installent des missiles dans des zones civiles – un fait pourtant reconnu internationalement.
Et cela de la part de Newsweek.
Depuis, un nouveau numéro consacré à l'antisémitisme européen est sorti mais dans lequel les rédacteurs du magazine ne disent rien au sujet des propos de Di Giovanni.
À présent, il semble que certains dirigeants européens commencent enfin à se réveiller. L'Allemande Angela Merkel a été la plus franche en déclarant : « Les instances de sécurité prennent au sérieux toute attaque contre des institutions juives. Les actes d'antisémitisme sont poursuivis par tous les moyens légaux. » En France, Claude Bartolone, président socialiste de l'Assemblée nationale, a déclaré : « Personne n'insulte un être humain parce qu'il est juif sans se condamner à l'abjection. Personne ne participe ou ne soutient l'attaque d'un commerce juif sans s'extraire de ce mouvement, plus fort que tout, qui de la barbarie conduit à la civilisation. »
Mais on ne peut faire disparaître la haine au moyen de lois. La haine ne se désapprend pas facilement – surtout quand une génération entière au moins a été privée d'une éducation qui aurait pu les aider à combattre ceux qui les incitent en premier lieu à haïr les juifs. La haine peut seulement être empêchée et, dans ce domaine, l'Europe a échoué.
Et à nouveau le résultat est que les juifs d'Europe sont en train de fuir. Et c'est là que se situe l'ironie car, comme le disait un ami : « C'est pour cette raison que nous avons eu besoin d'Israël. C'est pour cette raison à présent qu'Israël doit exister.
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.