À l'instar de nombreuses filles de son âge, Moezdalifa El Adoui, 15 ans, a quitté la maison familiale un après-midi d'été sans prendre la peine de dire au revoir. Mais contrairement à d'autres ados, ce n'était pas pour aller en ville faire du lèche-vitrine ou rencontrer des amis. La jeune Hollando-marocaine au sourire radieux faisait route vers la Syrie afin de participer au djihad.
Quand ils se sont rendu compte de son départ, ses parents ont téléphoné à la police tandis que son frère diffusait la nouvelle sur Facebook. Le lendemain, 22 juin, Moezdalifa était arrêtée à l'aéroport de Düsseldorf (Allemagne) alors qu'elle projetait de s'envoler pour la Turquie pour ensuite – comme des milliers d'autres musulmans européens avant elle – traverser la frontière syrienne.
Il est difficile d'imaginer une fille de 15 ans, élevée dans une Europe qui offre toutes les commodités, se précipitant pour rejoindre un soulèvement à l'étranger et choisissant de troquer sa famille et ses amis contre une vie sur le front d'une guerre civile atroce. Or depuis un an, de plus en plus de jeunes Européennes mineures d'âge sont parties pour la Syrie afin de prendre part au soulèvement islamiste. Certaines s'en vont avec leur petit ami, d'autres, comme Moezdalifa, sont trompées par la promesse d'une vie meilleure et d'une longue romance une fois arrivées sur place.
En effet, selon Janny Groen, reporter au quotidien néerlandais De Volkskrant, Moezdalifa faisait partie d'un groupe de jeunes filles, toutes originaires des Pays-Bas, qui se préparaient à faire le voyage.
Elles étaient loin d'être les seules : à titre d'exemple, à peu près au même moment, des jumelles de 16 ans, Salma et Zahra Hulani, se sont éclipsées en pleine nuit de la maison familiale située à Manchester (Angleterre), pour se rendre elles aussi en Syrie. En avril, Samra Kesinovic âgée de 16 ans, a quitté son domicile de Vienne (Autriche) en compagnie de son amie de 15 ans, Sabine Selimovic. Le quotidien britannique Mail Online rapporte que des responsables autrichiens « pensent désormais que les deux amies se trouvent dans un camp d'entraînement et que, de surcroît, elles sont mariées et habitent déjà chez leur nouveau mari. » Les deux adolescentes, filles de réfugiés bosniaques (musulmans), sont nées et ont grandi à Vienne.
Tout ceci semble faire partie d'une nouvelle campagne de recrutement de musulmans occidentaux, orchestrée par l'EIIL. « L'État islamique autoproclamé, connu sous son ancien acronyme EIIL, est en train de recruter activement des femmes et des jeunes filles occidentales », selon le Daily Beast. « En agissant de la sorte, ce 'califat' qui occupe à présent de vastes territoires en Syrie et en Irak montre une fois de plus que son habileté dans l'utilisation des réseaux sociaux égale pratiquement sa cruauté dans les combats. »
On serait peut-être tenté de minimiser ces disparitions par des réflexions telles que « vous savez comment sont les enfants » ou de faire remarquer que, dans les années 1960, par exemple, d'autres enfants sont aussi partis rejoindre une « révolution » - généralement à Londres ou à Berkeley (Californie). Mais alors que les jeunes filles de l'époque fuyaient une culture de guerre, celles d'aujourd'hui s'y précipitent. Alors que celles-là voulaient la paix, l'égalité et l'amour universel, celles-ci aspirent à la conquête. Alors que les enfants des années 60 n'envisageaient aucune religion, les enfants du djihad n'envisagent qu'une seule religion.
Néanmmoins, ce qui incitait les ados des années 60 à rejoindre le mouvement hippie correspond encore en grande partie à ce qui incite même les mineurs d'âge musulmans en Occident à rejoindre les extrémistes à Alep. La psychiatre néerlandaise pour adolescents, Carla Rus, qui se spécialise dans le traitement des jeunes musulmanes, observe que leur jeune âge les rend particulièrement vulnérables face à la manipulation des recruteurs. « En raison de leur puberté, elles vivent une période d'opposition à leurs parents et à leur entourage », indique-t-elle dans un récent e-mail. « Certaines d'entre elles peuvent aussi s'éprendre d'un jeune djihadiste dont elles vont gober facilement les idées et l'idéologie. Elles peuvent également connaître des problèmes à la maison où elles ne reçoivent que peu d'attention. »
Les problèmes familiaux peuvent influencer particulièrement le comportement de jeunes musulmanes souvent négligées par leurs parents et vivant dans des maisons où les fils sont rois et les filles souvent réprimées tant par les parents que par les frères. Le désir de se libérer de leur famille, combiné à une attitude de défi (« Je vais leur montrer de quoi je suis capable ») et l'envie de se prouver à elles-mêmes qu'elles ont de la valeur, font également d'elles des proies faciles pour les recruteurs – qu'elles rencontrent pour la plupart soit dans des mosquées de quartiers (à l'instar des jeunes autrichiennes) soit sur Internet.
Dans le cas de Moezdalifa, l'une de ses amies a raconté au journal néerlandais NRC Handelsblad que le contact s'est établi au moyen de Facebook, où deux musulmanes de Belgique lui ont certifié qu'« en Syrie, elle pourrait avoir une vie idéale et se marier. » D'autres filles sont la cible spécifique de jeunes hommes ayant à peu près leur âge, tel Oussama C., alias Abou Yazeed, un Hollando-marocain de 18 ans arrêté au mois de juin à La Haye, quelques jours seulement avant la disparition de Moezdalifa.
De plus les djihadistes de l'EIIL auraient récemment publié des vidéos en anglais visant à encourager les Occidentaux à les rejoindre. « Mes frères, venez tous faire le djihad », dit l'un d'eux, selon un reportage de NBC News. « Pense à la fierté que nous ressentons, pense à la joie que nous ressentons. » Une vidéo similaire, réalisée en néerlandais, a vu sa page visitée 57000 fois dès le premier jour de sa publication.
Le malheur, c'est que les parents musulmans vivant en Occident tirent la sonnette d'alarme depuis maintenant plus d'un an et mettent en garde contre des recruteurs qui ciblent les jeunes mineurs d'âge. Aux Pays-Bas, au moins un père de famille a intenté un procès aux services de renseignement néerlandais pour avoir failli dans le traitement du problème.
Désormais, alors qu'on parle de 3000 Européens ayant rejoint les groupes djihadistes en Syrie, les responsables sont en train de sévir. Ainsi, les citoyens néerlandais ayant une double nationalité perdent leur passeport néerlandais et début juillet, les dirigeants européens ont annoncé le mise en œuvre d'un « plan d'action confidentiel » comprenant entre autres mesures la confiscation de passeports et l'émission de mandats d'arrêts internationaux.
Toutefois, en ce qui concerne les sœurs Halane, on peut se demander si c'est vraiment la bonne solution. Qu'arrive-t-il en effet une fois que ces filles sont rattrapées par la réalité et qu'une fois passés le frisson et la romance elles se retrouvent prises au piège dans un pays étranger, mariées à un musulman extrémiste et soumises à la violence et à l'oppression de la charia ? On pourrait soutenir que, en tant que citoyennes disposant de la double nationalité, ces filles-là ont toujours un endroit où aller. Or la plupart possèdent un passeport turc ou marocain, deux pays dont les conditions sont en train de se détériorer – particulièrement pour les femmes. Et comment dire à une enfant de 15 ans qu'elle ne pourra plus jamais rentrer chez elle simplement parce qu'elle a cru en une chose qui s'est révélée être un mensonge ? Allons-nous rejeter ces jeunes filles – et leurs futures enfants – au motif qu'elles pourraient constituer une menace pour l'Occident, ou allons-nous leur procurer l'asile sûr dont elles auront (forcément) besoin ?
Voilà des questions auxquelles nous n'avons jamais été confrontés dans quelque guerre que ce soit. Mais si le conflit syrien continue à faire rage et si les filles occidentales continuent à y rejoindre le djihad islamique, ce sont des questions auxquelles nous devrons, rapidement et de toute urgence, trouver des réponses.
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.