Lors d'une conférence de presse organisée ce mercredi 10 septembre au National Press Club, plus d'une dizaine de dirigeants musulmans américains ont condamné les méthodes brutales de l'État islamique en les qualifiant de contraires à l'islam.
Ce faisant, plusieurs orateurs demandaient instamment à l'opinion publique de ne pas prêter attention aux motivations théologiques du groupe terroriste.
Talib Shareef, imam de la mosquée Muhammad à Washington D.C., a encouragé les médias à parler de l'EI comme de l'État « anti-islamique » car ces actions sont contraires aux enseignements de Mahomet.
En se référant à ce que les musulmans appellent la Charte de Médine, Shareef a déclaré : « Ce n'est pas un État islamique dans les faits ; ce n'est pas un État islamique dans l'esprit et ce n'est pas l'État islamique tel que le prophète en personne l'a créé et dans lequel régnaient la paix et l'égalité entre toutes les religions – les juifs et les chrétiens qui étaient avec lui. »
Un peu plus tard, un autre intervenant, Ahmed Bedier ancien responsable au Council on American-Islamic Relations (CAIR), a écrit sur Twitter que l'EI « n'est pas un produit de l'islam » et en a reproché l'apparition à l'Amérique.
Haris Tarin, directeur du Muslim Public Affairs Council (MPAC) à Washington, était le modérateur de cette rencontre qui a réuni des responsables musulmans éminents comme l'imam Mohamed Magid, ancien président de l'Islamic Society of North America (ISNA) et membre du conseil consultatif pour la sécurité intérieure du président américain ; Johari Abdul-Malik, imam au Centre islamique Dar al-Hijrah situé à Falls Church (Virginie), et Humera Khan, chef du groupe Mufflehun qui se consacre à préserver les jeunes musulmans de la radicalisation.
Plusieurs représentants de l'administration Obama assistaient à l'événement, dont le conseiller en chef Rand Beers ainsi que David Gersten, coordinateur de la lutte contre l'extrémisme violent au département de la sécurité intérieure, Kareem Shora, chef de section du bureau of community engagement au département de la sécurité intérieure, et Seamus Hughes du National Counterterrorism Center
Selon Gersten, « de longues années d'expérience nous ont montré que les services de prévention et de répression et les mesures de sécurité ne suffisent pas à résoudre ce problème. Ce sont les communautés locales qui sont aux avant-postes de la lutte et de la riposte et qui jouent un rôle essentiel dans l'identification des recruteurs, particulièrement quand des groupes basés en Syrie ont les Occidentaux pour cible. »
Gersten observait que « les services de prévention et de répression et les membres de la communauté musulmane devraient être à la pointe de la lutte contre ceux qui tentent de devenir des djihadistes. »
Plusieurs intervenants ont à nouveau entonné le refrain qu'ils répètent depuis les attentats du 11-Septembre, à savoir que l'islam n'a rien à voir avec le terrorisme, et ont évoqué la fatwa de 2005 condamnant le terrorisme qu'avait émise le Fiqh Council of North America [Conseil du Fiqh en Amérique du Nord] – une organisation dont l'un des membres actuels, Jamal Badawi, a cautionné les attentats-suicides.
Humera Khan a présenté ses condoléances aux mères des journalistes américains décapités, Steven Sotloff et James Foley, en ajoutant que les assassins n'avaient rien à voir avec l'islam. Avec Tarin, elle a insisté sur le fait qu'il faut enseigner aux jeunes musulmans que le discours des recruteurs djihadistes n'a rien à voir avec les enseignements authentiques de l'islam.
« Le simple fait d'utiliser la terminologie islamique ne fait pas de vous un musulman », selon Asma Hanif, directeur exécutif et membre du conseil d'administration de Muslimat Al-Nisaat, une association de protection des femmes basée à Baltimore.
Magid a qualifié l'EI de « culte » n'ayant rien à voir avec l'islam car il a tué principalement des musulmans, démoli des mosquées et tué des chrétiens en Irak.
« Tout cela est contraire aux fondements et aux enseignements de l'islam » a déclaré Magid qui a ajouté : « C'est notre prophète Muhammad, que la paix soit sur lui, qui a dit que quiconque maltraite un chrétien ou un juif ou toute personne d'une autre religion, je serai son ennemi au jour du jugement.
Le saint Coran dit que quiconque tue un homme, c'est comme s'il avait tué toute l'humanité et quiconque sauve une vie, c'est comme s'il avait sauvé toute l'humanité. »
L'Investigative Project on Terrorism a mis Magid au défi en citant la sourate 9, verset 29 du Coran que l'EI invoque pour justifier le meurtre des chrétiens et qui dit : « Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n'interdisent pas ce qu'Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu'à ce qu'ils versent la capitation par leurs propres mains, après s'être humiliés. »
Depuis que l'EI s'est emparé de Raqqa en Syrie au début de cette année et de Mossoul au début de cet été, les chrétiens sont devenus des personnes assujetties à la djizya (ou capitation) qui, si elles refusent de payer ou de se convertir à l'islam, doivent subir la mort. De la même manière l'EI cite un traité de droit islamique intitulé Confiance du voyageur pour justifier le meurtre des yézidis et l'ordre qui leur est donné de se convertir à l'islam prôné par l'EI s'ils veulent être épargnés.
Magid a insisté sur le fait que l'EI a agi en dehors des limites de l'islam et a fait remarquer que les savants musulmans n'ont jamais demandé de tuer tous les non-musulmans en Irak ou en Syrie durant les 1400 années qui ont précédé l'arrivée de l'EI.
« Les musulmans dominent cette région. Pourquoi ne les ont-ils pas tués ? » a demandé Magid en parlant des chrétiens, des juifs et des yézidis vivant dans la région dominée actuellement par l'EI. « Nous avons déclaré sur notre site internet, alors que j'étais président de l'ISNA, que tout meurtre de civils, qu'il soit l'œuvre du Hamas, du Djihad, de X ou Y, des juifs, des chrétiens, des hindous, des bouddhistes, est inacceptable. »
Paradoxalement, l'EI oppose un argument similaire aux musulmans qui le critiquent. Selon l'EI, ce ne sont pas de vrais musulmans.
Dans un article publié mardi, James Brandon, chercheur associé à l'International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence (ICSR), affirme que la stratégie consistant à désavouer les radicaux et leurs arguments théologiques est une stratégie inefficace.
« Quand les musulmans modérés utilisent le terme takfirisme (fait de déclarer apostats les musulmans qui ont d'autres opinions) pour contrer l'extrémisme, ils ne remettent pas en cause cette doctrine dangereuse et intrinsèquement intolérante mais au contraire ils la réaffirment. Une meilleure approche consiste à accepter que les islamistes extrémistes, aussi détestable que soit leur conception de l'islam, demeurent musulmans même si beaucoup d'autres musulmans et non musulmans peuvent désapprouver leur version de l'islam. »
Lors de la conférence de presse de mercredi, Magid a parlé du besoin de programmes destinés à protéger les jeunes musulmans contre les discours djihadistes qui ont déjà conduit, ces trois dernières années, plus de 300 musulmans américains à rejoindre les rangs de l'EI et d'autres groupes djihadistes en Syrie et en Irak. Magid a ajouté que l'argumentation théologique des djihadistes devait être combattue point par point.
« Il n'y a rien de bien à devenir djihadiste ! Vous êtes perdants ! » a dit Johari Abdul-Malik, dont la mosquée a été le foyer de nombreux individus arrêtés pour avoir été liés à des complots djihadistes. « Je veux faire remarquer que je suis noir ! Nous n'avons pourtant jamais assimilé les actions du Ku Klux Klan à la chrétienté. »
Ceci dit, il n'y a pas si longtemps encore, en février 2013, l'un des collègues d'Abul-Malik au centre Dar al-Hijrah, Shaker Elsayed, a cautionné le concept du djihad violent. Lors d'une conférence donnée à la Northern Virginia high school, un lycée de Virginie, il a prêché en disant que les hommes musulmans seraient les derniers à moins qu'ils n'aient pris les « armes pour le djihad ».
La communauté musulmane américaine se situe en première ligne dans la lutte contre les terroristes qui agissent au nom de l'islam, disent-ils. Abdul-Malik a évoqué le fait que les imams aspirent à travailler avec le FBI pour lutter contre le terrorisme.
« Nous sommes en première ligne car c'est nous qui leur parlons dans les chat rooms et sur Facebook pour leur dire : "Tu sais quoi, mon frère ou ma sœur, je pense qu'ils ont tout simplement dépassé les bornes" et les statistiques montrent que nous sommes le meilleur moyen pour lutter », a dit Abdul-Malik. « J'ai un message à adresser aux services de prévention et de répression. D'abord, je veux vous remercier… car parfois moi-même et d'autres imams avons des agents qui viennent dans notre bureau et nous disent "Savez-vous quelque chose à propos de telle ou telle personne ?" Alors, nous leur disons la vérité et nous sauvons ainsi de nombreuses vies. »
Les sentiments d'Abdul-Malik ne sont pas partagés par d'autres musulmans américains.
Le CAIR, qui décrit les agents du FBI comme de vilains manipulateurs prêts à monter de toutes pièces des accusations contre les musulmans, a brillé par son absence lors de la conférence de presse de mercredi. Sa section du Minnesota a fait obstruction à l'enquête menée par le FBI sur le recrutement de musulmans somaliens par al-Shabaab à Minneapolis et dans la ville voisine de Saint-Paul. Quant à sa section de San Francisco, elle a publié une affiche indiquant : « Construisez un mur de résistance : Ne parlez pas au FBI. »
Un autre groupe, l'Assembly of Muslim Jurists of America (AMJA), qui compte Magid parmi ses membres, a publié en 2008 un article écrit par Hatim al-Haj, un membre de son comité pour la fatwa, et selon lequel travailler pour le FBI était « inadmissible » en raison du « mal qu'ils infligent aux musulmans. »