À cette question, il y a une réponse toute simple, qui est celle que vous entendrez le plus souvent : l'EI, ou État islamique (anciennement EIIL), est une émanation d'Al-Qaïda qui s'est développée à la faveur de la guerre civile en Syrie et des troubles en Irak.
Mais ce n'est là qu'une partie de la réalité : le reste se trouve en Europe (et même en Amérique), où les gouvernements ont continuellement – même sans le vouloir – financé des programmes qui ont produit de la radicalisation au sein des communautés musulmanes de leurs pays. À présent, de plus en plus de ces musulmans radicaux, dont la plupart sont nés et ont grandi en Occident, rejoignent l'EI et son djihad. Face à cette situation, les dirigeants européens prennent des mesures qui pourraient en fait aggraver la menace.
En réalité, alors que l'EI renforce son ancrage en Irak, les jeunes musulmans européens sont de plus en plus enclins à le rejoindre. Après les scènes horribles de décapitations et d'exécutions perpétrées ces dernières semaines par l'EI, le nombre de jeunes Belges partant rejoindre le groupe terroriste en Syrie a, selon l'agence de sécurité belge OCAM, augmenté de façon significative. Comme l'indique le quotidien belge Het Nieuwsblad : « La hausse récente est frappante et, selon nos informations, elle est due en partie à la propagande importante à laquelle se livre l'EI sur les réseaux sociaux. La diffusion d'images choquantes, comme les exécutions de masse de 250 soldats syriens et l'exécution du journaliste américain James Foley, ne fait apparemment que pousser les jeunes musulmans vers la radicalisation. »
Et la Belgique n'est pas un cas unique.
La semaine dernière, les autorités néerlandaises ont arrêté deux familles originaires de la ville de Huizen alors qu'elles se préparaient à rejoindre le djihad en Syrie. Les passeports des parents et des six enfants, âgés de huit mois à neuf ans, ont été confisqués. À peu près au même moment, le radical hollando-américain connu sous le nom de Jermaine W a réussi à partir pour la Syrie avec sa femme et ses enfants. Jermaine, dont le père était américain, est bien connu aux Pays-Bas en tant que membre du groupe extrémiste néerlandais Hofstad et ami du dirigeant de ce groupe, Mohammed Bouyeri, le terroriste qui a tué le cinéaste Theo Van Gogh. Jermaine a été arrêté en 2004 pour avoir écrit une lettre dans laquelle il projetait d'assassiner l'activiste et alors parlementaire Ayaan Hirsi Ali. Mais il a finalement été relâché en 2006, « faute de preuves suffisantes ».
À l'instar de Jermaine, nombre de ces djihadistes européens voyagent avec leurs enfants qu'ils placent ensuite dans des camps d'entraînement djihadistes dans l'espoir de produire une nouvelle génération plus forte de guerriers islamiques combattant pour l'État islamique. Publié récemment, un reportage de VICE montre un père belge en train d'apprendre à son très jeune fils à tuer les « incroyants », alors que d'autres enfants jouent et s'entraînent avec des fusils.
Cependant, le problème n'est pas né avec l'émigration en Syrie. Il a commencé avec la radicalisation de ces musulmans qui vivaient alors sur le sol européen, se rendaient dans des mosquées européennes et participaient à des programmes européens pour de jeunes musulmans – des programmes créés bien souvent dans le but de prévenir une telle radicalisation. Selon un reportage de l'hebdomadaire néerlandais Elsevier, de nombreuses mosquées présumées modérées ont utilisé les fonds publics pour financer les visites d'imams extrémistes comme Usman Ali, qui a donné des conférences au Greenwich Islamic Center. Selon Elsevier, le cachet perçu par Ali a été payé au moyen d'une subvention publique de 75.000 euros pourtant clairement destinée à « prévenir la radicalisation ». En 2010, Ali faisait partie de ce centre qui à l'époque, percevait jusqu'à 168.000 euros de subventions publiques.
En quelques mots Usman Ali est notamment connu pour avoir montré les vidéos des attentats du 11 Septembre à des enfants tout en s'exclamant « Allah est le plus grand » (Allahu Akbar), selon Elsevier. Dirigeant de ce qu'on a qualifié de « puissant réseau de radicaux islamiques et de condamnés terroristes », il a également été accusé d'avoir inspiré à Micheal Adebolajo et Michael Adebowale l'horrible quasi-décapitation du soldat britannique Lee Rigby non loin de la base militaire de Woolwich, au sud-est de Londres. Interviewé par Al-Jazeera, Ali a nié ces accusations.
Des situations semblables abondent aux Pays-Bas. Le cas le plus emblématique est celui de la Mosquée bleue d'Amsterdam, dont la gestion est assurée, au travers d'un réseau complexe d'organismes et de financements, par les Frères Musulmans, dont la possession est détenue par le gouvernement koweitien et la direction assurée par le ministre koweitien des Affaires religieuses. Parmi les intervenants invités à cet endroit, il y a eu Khalid Yasin, largement connu pour avoir inspiré le terroriste aux sous-vêtements piégés Umar Farouk Abdulmuttalab.
Plus près des États-Unis, la Muslim Association of Canada, qui a reçu des fonds du gouvernement de l'Alberta, a en retour financé le Hamas et l'Islamic Relief and Human Concern International (IRHCI). D'après des documents stockés sur Point de Bascule, un site internet conservateur basé au Canada, « Islamic Relief Canada reprend sur son site internet, huit catégories de personnes bénéficiant de la zakat. Ces huit catégories correspondent exactement à celles répertoriées dans le manuel de droit islamique (charia) intitulé Umdat al-Salik (« Confiance du voyageur »), approuvé par les Frères Musulmans. » L'organisation encourage aussi particulièrement les dons au profit des « musulmans qui font le djihad : ceux qui luttent dans le chemin d'Allah. »
Les gouvernements occidentaux ne savent probablement pas qu'ils financent de tels projets : mais comme le souligne Elsevier, « les services de sécurité allemands mettent en garde depuis des années – comme dans leur rapport annuel de 2007 – que les organisations islamiques modérées peuvent donner naissance à des groupes radicaux. Si elles ne recrutent pas de jeunes pour le djihad, elles les encouragent néanmoins à développer une « identité islamique » forte, ce qui accroit bien plus le risque de radicalisation. »
À présent, l'Europe propose, pour sortir de cette piteuse situation, de nouvelles mesures dont la première est de priver de leur passeport ceux qui partent en Syrie ou qui sont arrêtés aux frontières ou en chemin, à l'instar des deux familles de Huizen.
Mais est-ce là la meilleure réponse ? Les musulmans qui se mettent en route pour aller faire le djihad sont déjà radicalisés. Ils ont déjà tourné le dos à l'Occident et pris l'engagement de le combattre – par la violence et sans merci. Ils sont corps et âme du côté de l'État islamique même s'ils vivent à Paris, à New York, à Amsterdam ou à Détroit. Leur retirer leur passeport ne fait que les maintenir là où ils sont, c'est-à-dire parmi nous qui sommes leurs ennemis, ceux qu'ils projettent de détruire.
La vérité tragique et dérangeante est que c'est nous qui avons contribué à forger leurs idées meurtrières et leur haine de l'Occident. Il s'agit bien de notre erreur. Et nous ne devrions pas en commettre une autre en les gardant ici, parmi nous. Qu'on les laisse partir et qu'on ferme la porte derrière eux.
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.