Il y a un certain temps, nous sommes allés faire réparer notre voiture dans l'un des villages arabes de la plaine côtière du nord d'Israël, non loin du lieu où mon mari est né. L'endroit est un microcosme de la coexistence judéo-arabe faite de relations cordiales de bon voisinage. L'atelier de réparation est tenu par un homme prénommé Muhammad, qui nous a accueillis dans son bureau et nous a offert un café turc à la cardamome dans la plus pure tradition arabe. Malgré la situation difficile dans la Bande de Gaza, il n'y avait aucune tension dans l'air.
Ce jour-là, l'opération israélienne dans la Bande de Gaza suivait son cours. À ce stade, l'organisation terroriste palestinienne à la tête de la Bande de Gaza avait attaqué Israël ainsi que des juifs et des civils arabes, avec une moyenne journalière de plus de cent roquettes (sans parler des tunnels creusés par les terroristes du Hamas en vue de lancer simultanément, durant le Nouvel An juif, une attaque massive sur les kibboutz situés le long de la Bande de Gaza). Cette situation aurait pu influencer Muhammad. Or, ce drame qui se jouait dans le sud n'avait aucune répercussion sur sa façon de nous accueillir qui était, comme toujours, courtoise et amicale.
Tout en servant le café, il nous disait : « Je veux que vous sachiez que dans notre village il y a 10 garçons qui servent dans l'armée israélienne (Tsahal) et combattent le Hamas dans la Bande de Gaza. Nous avons même une fille qui sert dans police des frontières. »
J'étais très étonnée. Contrairement à la majeure partie de la population israélienne (à l'exception des ultra-orthodoxes), les Arabes israéliens ne sont pas soumis à la conscription militaire et la plupart d'entre eux refusent d'apporter la moindre contribution à l'effort social commun israélien et même à leurs propres communautés. C'est pourquoi je lui ai demandé si les Arabes de son village qui servaient dans l'armée israélienne étaient musulmans et s'ils portaient leur uniforme quand ils revenaient en permission au village. Oui, m'a-t-il dit, ils étaient musulmans. Pour eux et leur famille, quiconque vivait en Israël était un Israélien et devait servir. Les roquettes du Hamas, disait-il, ne faisaient pas de distinction entre sa famille et les nôtres, elles étaient toutes destinées à tuer des Israéliens.
Je lui ai demandé quel était le discours tenu en public par les gens du village. Ceux-ci discutaient-ils objectivement des événements en cours ou soutenaient-ils aveuglément les dirigeants du Hamas ? Il a dit que les gens parlaient ouvertement et sans crainte et que la plupart d'entre eux dénonçaient l'agression du Hamas contre Israël et ne voudraient vivre nulle part ailleurs au Moyen-Orient.
Ce n'était pas la première fois que j'entendais des Arabes israéliens critiquer ouvertement la situation en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. J'ai entendu la même chose lors d'une visite à Umm el-Fahm, une grande ville arabe dans le nord d'Israël, foyer et bastion du Mouvement Islamique de Ra'ed Salah qui, à l'instar du Hamas dans la Bande de Gaza, est la branche israélienne des Frères Musulmans. Même à cet endroit, j'ai entendu des résidents locaux critiquer les dirigeants palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ainsi que le Mouvement Islamique en Israël. Certains d'entre eux disaient même en blaguant que, dans la situation créée au Moyen-Orient par le Printemps arabe, le seul endroit où le Mouvement Islamique pouvait opérer librement était l'État d'Israël. Ce qui est absurde, c'est que le mouvement n'a pas été mis hors la loi malgré son hostilité aux citoyens juifs ainsi qu'à Israël dont il prône la destruction. Les auteurs de cette plaisanterie disaient que dans des pays comme l'Égypte, dont la politique officielle et les objectifs sont similaires à ceux du Mouvement Islamique israélien, le mouvement avait été déclaré illégal et ses dirigeants jetés en prison voire, pour certains d'entre eux, exécutés.
Un autre sujet dont on discute parfois avec les Arabes israéliens est l'échange de populations et de terres opéré en vertu du traité de paix. Israël a souvent suggéré l'annexion par Israël des populations de Judée et de Samarie situées le long de la frontière de 1967 contre celle par l'Autorité palestinienne des populations arabes frontalières d'Israël qui deviendraient partie intégrante d'un éventuel État palestinien. Il s'avère qu'une telle éventualité inquiète beaucoup les habitants d'Umm el-Fahm et suscite chez eux une franche opposition. L'un d'eux a même déclaré : « Ma grand-mère dit toujours qu'il vaut mieux être en enfer avec les Juifs qu'au paradis avec les Arabes… »
Les gens à qui j'ai parlé sont très conscients de la situation politique. Ils savaient tous que même le retrait unilatéral d'Israël de la Bande de Gaza en 2005 n'empêcherait pas le Hamas de tirer des roquettes sur les villes israéliennes et de creuser des tunnels sous la frontière pour enlever des civils et des soldats israéliens. Ils savaient tous que la frontière entre Gaza et Israël n'avait aucune importance pour le Hamas et que l'organisation avait ouvertement déclaré que son objectif était la destruction de l'État d'Israël.
Tout aussi sérieuse fut la tentative du Hamas de lancer ce qu'il a nommé « l'Intifada du Ramadan », appelant les Arabes de Cisjordanie, d'Israël (qu'il désigne comme « les Arabes de 1948 ») et de Jérusalem-Est à se soulever contre Israël. Heureusement, l'appel n'a été que partiellement suivi. À Wadi Ara, une zone majoritairement arabe située dans le nord, des groupes d'hommes masqués, jeunes pour la plupart, ont bloqué les routes principales et lancé des cocktails Molotov sur des véhicules israéliens. Durant l'opération « Bordure protectrice », le Hamas a jeté toutes ses forces dans la bataille afin de détruire le fragile équilibre existant entre les communautés en Israël – juifs, druzes, chrétiens, musulmans et bédouins – et a essayé de créer le chaos dans le pays en vue d'influencer l'issue de la guerre.
Le Hamas a échoué mais beaucoup de gens ont eu le sentiment désagréable qu'alors que le gouvernement israélien et Tsahal étaient en train de lutter contre les roquettes et les attaques terrestres du Hamas, des citoyens israéliens profitaient de l'occasion pour appeler à attaquer les juifs au sein même d'Israël. Les photos d'Arabes israéliens masqués jetant des cocktails Molotov ressemblaient terriblement à celles des terroristes de l'EIIL et du Hamas dans la Bande de Gaza…
Dans leur tentative de préserver le fragile équilibre de la société israélienne, les anciens du village arabe ont essayé d'arrêter les actes de vandalisme perpétrés par de jeunes arabes, mais au fil des années la détérioration des structures tribales et patriarcales a affaibli leur autorité. Résultat : de nombreux Juifs israéliens qui en temps normal se rendaient dans les restaurants, les ateliers de réparation, les supermarchés et les boutiques des villes et villages arabes se sont abstenus d'y aller, craignant pour leur sécurité et celle de leurs familles, et ont ainsi porté un coup à l'économie, suscitant de vives critiques parmi les commerçants arabes lésés.
La conduite des élus arabes est souvent l'objet de discussions. Alors que de nombreux Arabes israéliens réprouvaient la violence durant les opérations militaires, certains de leurs représentants à la Knesset l'encourageaient. Parmi les principaux responsables de cette situation se trouvait Hanin Zoabi qui a affronté la police israélienne et fait des remarques offensantes à l'égard d'agents de police arabes venus disperser une manifestation.
J'ai demandé à Muhammad ce qu'il en pensait. Selon lui, les Arabes à la Knesset ne se sont pas souciés de leurs électeurs et ont senti que plus ils radicaliseraient leurs positions et plus ils se montreraient solidaires des Palestiniens en Judée, en Samarie et dans la Bande de Gaza, plus ils obtiendraient de voix lors des prochaines élections. Il a dit qu'effectivement, ils ne faisaient pas leur travail.
En fait, c'est lors de l'opération « Bordure protectrice » que les députés de la Knesset Zoabi, Zahalka et Ghattas, financés par on ne sait qui, ont choisi d'aller au Qatar pour y rencontrer Asmi Bashara, un autre député de la Knesset, un criminel qui a fui le pays quand on a découvert qu'il avait espionné pour le compte du Hezbollah lors de la Deuxième Guerre du Liban. Il est actuellement au Qatar, tout comme Khaled Meshaal, le chef du bureau politique du Hamas. Il est ironique de voir que c'est pendant une guerre que trois membres du parlement israélien choisissent de rendre visite aux ennemis d'Israël.
Je ne pouvais m'empêcher de penser en moi-même à ce qui serait arrivé si, au cours des guerres en Afghanistan et en Irak, les deux membres musulmans du Congrès américain avaient trouvé ce moment opportun pour rencontrer Oussama Ben Laden et/ou faire des déclarations contre les citoyens et les soldats américains lors d'interviews sur Al-Jazeera America. Les rassemblements organisés à Umm el-Fahm et ailleurs étaient-ils des manifestations contre la guerre ou des émeutes pro-Hamas ? L'opinion publique américaine considérerait-elle une manifestation de soutien à Al-Qaïda ou à l'EIIL comme une manifestation contre la guerre ou comme une trahison ?
Manifestement, la guerre à Gaza a créé une discordance pour certains Arabes israéliens et le conflit et ses images ont ému à la fois les Juifs et les Arabes. L'identification de certains Arabes israéliens avec les Palestiniens est légitime mais c'est l'objectif qu'il fallait changer : non plus la destruction d'Israël mais bien une solution à long terme pour les Palestiniens vivant dans les différents pays arabes. Le statut de réfugiés ne peut être héréditaire et il n'y a pratiquement plus de réfugiés du conflit de 1948. Le traitement que les pays arabes font subir à leurs descendants est un crime et un véritable apartheid. Ce ne sont pas des citoyens, ils n'ont aucun droit et ne bénéficient pas de l'égalité des chances.
Cependant, le plus criminel dans cette histoire est l'ONU dont l'UNRWA entretient délibérément la discrimination des réfugiés palestiniens et de leurs descendants : elle s'applique en effet à les maintenir dans le statut de réfugiés perpétuels alors qu'elle néglige les millions de véritables réfugiés en Afrique et au Moyen-Orient, particulièrement en Syrie et en Irak. Leurs vies sont en danger mais, en raison de l'antisémitisme et des intérêts particuliers de responsables de l'ONU et de l'UNRWA, on les ignore. À l'instar d'Israël qui a octroyé la citoyenneté aux juifs ayant fui les pays arabes en 1948, il est temps à présent pour la Syrie, la Jordanie et le Liban d'accorder la citoyenneté aux descendants des réfugiés de cette époque.
Il existe de nombreuses officines qui tentent de miner les relations entre les communautés et les groupes ethniques d'Israël. Juifs et Arabes israéliens ont survécu à bien des crises par le passé car ils partagent des intérêts sociaux et économiques communs. La vie quotidienne est plus forte que le fondamentalisme islamiste qui cherche à exploiter à ses fins la situation politique en Israël. Plusieurs membres de la Knesset ne contribuent en rien à la vie de leurs électeurs : ils détruisent leur confiance, ainsi que l'ont observé de nombreux Arabes israéliens. Des études récentes indiquent une hausse de la participation des Arabes au Service national (une structure non militaire de service public) ainsi qu'une augmentation significative des chrétiens arabes qui s'engagent dans l'armée d'Israël. La société arabe israélienne n'est pas monolithique et la diversité extraordinaire qui caractérise Israël se traduit par la présence d'Arabes chrétiens, de Bédouins et de Druzes dans et à la tête d'unités d'élite de Tsahal. À titre d'exemple, après avoir été blessé, le colonel druze Rasan Alian, de la Brigade Golani, a quitté l'hôpital pour retourner diriger ses troupes sur le front à Gaza.
J'ai récemment donné une conférence sur le terrorisme palestinien devant un public d'universitaires au Kibboutz Sde Boker où j'ai pu ensuite discuter avec Qassem, journaliste palestinien de Jérusalem-Est. Je lui ai demandé si l'un de mes propos l'avait choqué. Il m'a répondu par la négative, me disant qu'il n'était pas fâché contre moi mais bien contre les islamistes qui nous avaient entraînés dans la guerre. C'est une chose difficile à admettre, disait-il, mais aujourd'hui le seul endroit sûr pour un Arabe au Moyen-Orient, c'est l'État d'Israël.
Anat Berko, PhD, est lieutenant-colonel de réserve dans l'Armée de défense d'Israël. Elle dirige des recherches pour le National Security Council et est chercheur associé à l'Institut de politique internationale pour la lutte contre le terrorisme au Centre interdisciplinaire d'Israël. Criminologue, elle a été professeur invité à la George Washington University et a écrit deux ouvrages sur les auteurs d'attentats suicides The Path to Paradise (Le sentier du paradis) et, récemment aux Éditions Rowman & Littlefield, The Smarter Bomb : Women and Children as Suicide Bombers (La bombe plus intelligente : femmes et enfants kamikazes)