Avec le massacre des journalistes et caricaturistes du magazine Charlie Hebdo ce mercredi en fin de matinée à Paris par des musulmans armés, les forces de l'islam radical ont lancé un véritable défi : l'islam radical n'est pas juste en train de combattre les libertés occidentales ou l'hégémonie des puissances occidentales. Leur véritable ennemi est la vérité.
En assassinant les membres de Charlie Hebdo, les islamistes qui se consacrent au meurtre des journalistes ou commentateurs n'en étaient pas à leur coup d'essai. Ce n'est pas la première fois non plus que les islamistes se révoltent contre des journaux satiriques en Occident. La liste des faits de ce genre est longue : le massacre en plein jour de Theo van Gogh dans les rues d'Amsterdam en novembre 2004 ; le nombreuses tentatives d'assassinat de Kurt Westergaard, le caricaturiste danois auteur des dessins représentant Mahomet coiffé d'une bombe en guise de turban ; le complot visant à assassiner le caricaturiste suédois Lars Viks, pour le même type de dessins ; l'enlèvement et le meurtre du journaliste américain Steven Vincent en réponse à son article paru en 2005 dans le New York Times et décrivant la corruption régnant au sein des forces de police de Basra (Irak) ; les décapitations, en 2014, de James Foley et Steven Sotloff ; l'attentat à la bombe de 2011 dirigé contre les locaux de Charlie Hebdo en réponse à la publication par l'hebdomadaire, de caricatures de Mahomet. Ce ne sont là que quelques exemples parmi d'autres.
(Et c'est sans compter les cas de brutalité et de censure exercées dans les pays musulmans, en ce compris la « démocratique » Turquie qui, sous la férule de son président (et ancien Premier ministre) islamiste Recep Tayyip Erdogan, a été condamnée au niveau international pour avoir emprisonné des journalistes. Ainsi, sur une liste de 170 pays classés selon le critère de la liberté de la presse, la Turquie, le Pakistan, l'Égypte et l'Arabie Saoudite arrivent respectivement aux 154ème, 158ème, 159ème et 164ème places.
Cependant l'aspect le plus terrifiant de ce massacre contre Charlie Hebdo, c'est qu'on ne peut plus masquer la réalité en parlant de « loups solitaires », de « déséquilibrés » ou de personnes « dérangées ». De tels propos ont été tenus par les responsables publics et les médias dans l'espoir de minimiser les motivations des attentats comme celui de Fort Hood en 2009 ou comme les tentatives de décapitation de deux agents de police dans les rues de New York. Les attentats qui ont eu lieu aujourd'hui à Paris montrent à l'évidence qu'ils ne sont pas l'œuvre de fous isolés et que l'islam constitue en fait, une partie du problème.
Il est temps d'arrêter de prétendre le contraire.
Il faut être clair : après leur abominable forfait, les tueurs ont annoncé qu'ils avaient « vengé le prophète Mohammed ». Certains témoins affirment qu'au moins l'un des auteurs a crié « Allahou Akbar » (« Allah est le plus grand »), le cri de ralliement des terroristes. Et alors que de nombreuses organisations musulmanes condamnaient l'attentat, d'autres musulmans s'en félicitaient sur Facebook et d'autres réseaux sociaux.
Or, comme le disait Anderson Cooper de CNN, « C'est un attentat contre le journalisme ». Et qui dit attentat contre le journalisme, dit attentat contre la vérité, l'esprit critique et le savoir – bref, contre les Lumières.
Les armes utilisées ne sont peut-être pas nouvelles mais le front sur lequel les musulmans extrémistes sont en train de combattre – la destruction des médias et de la vérité – est un point sur lequel nous n'avons pas accordé assez d'attention par le passé.
Dans de nombreux cas, nous y avons peut-être contribué : la plupart des publications américaines et occidentales ont ainsi refusé de republier les caricatures danoises de Mahomet après qu'elles eurent déclenché des émeutes partout dans le monde parmi les musulmans. Même l'administration Bush s'est exprimée contre ces caricatures en déclarant qu'elles étaient « choquantes » et qu'ils comprenaient « tout à fait pourquoi les musulmans trouvent ces dessins choquants. »
En 2012, le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, critiquait Charlie Hebdo pour avoir publié les caricatures tournant Mahomet en dérision. Il déclarait :
« Nous nous posons des questions sur ce qui a conduit à la publication de telles choses. Nous savons que ces dessins vont choquer profondément beaucoup de gens et peuvent se révéler incendiaires. Cependant nous avons dit à plusieurs reprises combien il est important de préserver la liberté d'expression inscrite dans notre Constitution. »
« En d'autres termes, nous ne remettons pas en cause le droit de publier ce genre de choses. Nous contestons simplement les motivations qui ont conduit à leur publication. Et je pense que c'est là notre point de vue au sujet de cette vidéo publiée dans ce pays et qui a causé tant d'émoi dans le monde musulman. »
Dans cette affaire, Charlie Hebdo avait peut-être une longueur d'avance sur nous : à l'instar des journalistes du Jyllands Posten qui ont les premiers publié les caricatures de Mahomet, ils ont riposté dès le début. Ce qui est choquant, c'est de voir des commentateurs occidentaux (particulièrement des musulmans occidentaux) condamner les caricaturistes au Danemark, tout comme ils ont condamné Theo van Gogh hier et condamnent aujourd'hui Charlie Hebdo pour avoir « suscité » ces attentats par leur « imprudence ».
Rien pourtant de ce qu'a fait Charlie Hebdo n'était imprudent, pas plus que ce qu'a fait Steven Vincent dans son reportage, pas plus que Theo van Gogh dans son film Submission, au sujet des crimes d'honneurs et des abus commis sur les femmes en Islam. Dans le cas de Charlie Hebdo, il s'agissait à première vue d'une œuvre satirique mais plus encore que ça, leur travail concernait l'urgente nécessité de préserver la libre expression et de condamner – de toutes les manières possibles et imaginables – ceux qui cherchent à la détruire.
En mémoire de ceux qui sont morts pour la vérité et la liberté, nous n'abandonnerons pas ce combat que nous ne nous permettrons pas de perdre.
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.