Mercredi, une délégation a fait du lobbying auprès de sénateurs du Congrès américain. Cette délégation comptait des membres éminents des Frères Musulmans égyptiens en exil ainsi que deux personnes connues pour leur soutien au Hamas.
D'après ce qu'a déclaré à l'Investigative Project on Terrorism (IPT) une source proche du Sénat, la délégation a demandé à rencontrer plusieurs sénateurs pour contribuer à réinstaller l'ancien président Mohamed Morsi et les Frères Musulmans au pouvoir en Égypte. En août dernier à Istanbul, des parlementaires, des ministres et des juges de l'ère Morsi se sont constitués en Conseil révolutionnaire égyptien dans le but de renverser le gouvernement militaire en Égypte. Le Conseil siège à présent à Genève, en Suisse.
Selon une note fournie aux services du Sénat, la délégation est arrivée lundi pour repartir jeudi. Un message posté sur Facebook mercredi par l'ancien juge égyptien Waleed Sharaby le montre en compagnie d'autres membres de la délégation au Congrès américain.
Celle-ci comprend également Sarwat Nafei, un homme qui se décrit comme libéral et qui a été élu président du parlement en exil, Maha Azzam, chef du Conseil révolutionnaire égyptien, Abdul Mawgoud Dardery, membre des Frères Musulmans et parlementaire égyptien en exil ; et Mohammed Gamal Heshmat, membre de l'assemblée de la Choura des Frères Musulmans et parlementaire égyptien en exil.
La page Facebook de Sharaby le montre au Département d'État américain lundi. Dans un message posté sur Facebook jeudi, Heshmat affirmait avoir également rencontré « un représentant de la Maison Blanche ». « La voix de la révolution égyptienne doit se faire entendre partout », écrivait-il.
Sharaby et Heshmat ont ouvertement exprimé leur soutien au Hamas.
Mohammed Gamal Heshmat, deuxième à partir de la gauche, avec Khaled Meshaal, le chef politique du Hamas. |
Le leader des Frères Musulmans est connu pour son soutien de longue date aux terroristes palestiniens. Heshmat « souhaite envoyer des armes aux Palestiniens et même envoyer des Égyptiens au combat », rapportait Deborah Amos en 2002 pour « NOW with Bill Moyers ».
Interrogé mardi à ce sujet par l'IPT, Heshmat a nié avoir tenu de tels propos et a dit que le seul soutien qu'il ait jamais apporté aux Palestiniens se limitait à une « aide humanitaire ».
Dans un message posté sur Facebook en 2012, il niait la responsabilité de musulmans dans les attentats terroristes au Sinaï. Selon un article du journal égyptien Al-Masry Al-Youm, « il est déraisonnable de penser que les musulmans soient les auteurs d'un tel incident car s'il s'agissait d'une opération djihadiste, cela aurait eu lieu d'abord sur le territoire israélien. »
Il a reproché au « complot américano-sioniste » l'intervention de l'armée égyptienne contre les Frères Musulmans en août 2013. Dans un message posté sur Facebook en juillet dernier, Heshmat qualifiait les juifs israéliens de « descendants de singes et de porcs » qui combattaient la « Palestine du djihad ».
De la même manière, Sharaby, qui n'est pourtant pas un Frère Musulman, a écrit en juillet dernier un article honorant la mémoire des fondateurs du Hamas, cheikh Ahmed Yacine et Abdel Aziz Rantissi. L'article de Sharaby fait du Hamas un éloge lyrique :
« Dois-je vous raconter comment ce mouvement béni a favorisé l'esprit de résistance en un temps record et dans des circonstances où il était impossible d'en vérifier les résultats ? Que ce soit en jetant des pierres contre l'ennemi, en le poignardant, en lui tirant dessus, en l'attaquant à l'explosif, en effectuant des opérations martyres jusqu'au cœur de l'entité sioniste, ou encore en lançant des missiles de courte ou de longue portée pour attaquer des unités de l'armée israélienne, et forcer de la sorte le peuple d'Israël à se réfugier dans des bunkers !!! »
Le tabloïd saoudien Al-Madina a descendu en flammes la rencontre de mercredi entre le Département d'État et la délégation, qualifiant cette dernière de « terroriste ». L'année dernière, les autorités saoudiennes ont catalogué les Frères Musulmans parmi les groupes terroristes.
Dans un courriel envoyé à l'IPT, le Département d'État a justifié la rencontre en disant : « Nous avons rencontré les représentants de toutes les tendances du monde politique égyptien. »
Avant de se rendre à Washington, Dardery, Sharaby et Heshmat ont participé, dans le New Jersey, à un forum parrainé par l'association Egyptian Americans for Freedom and Justice, décrite par un journal égyptien comme une « organisation frériste ». Ce forum comptait également parmi ses participants le célèbre dirigeant islamiste Mohammed Qatanani.
D'après la page Facebook de l'association, Heshmat et Sharaby sont arrivés aux États-Unis le 20 janvier.
Apparu mardi lors d'un événement organisé au National Press Club par le Center for the Study of Islam and Democracy (CSID, Centre pour l'étude de l'islam et de la démocratie), Azzam a qualifié les discussions avec le Département d'État de « fructueuses ».
« Les points de vue se sont rejoints sur la lecture des événements, sur la menace que fait peser le régime actuel sur les droits de l'homme et l'État de droit », a déclaré Azzam concernant la réaction que la délégation a reçue du Département d'État. « Ils se sont montrés favorables à la poursuite de notre engagement conjoint. »
Les membres de la délégation ont dit au Département d'État que le soutien au régime du président Abdel Fatah al-Sissi était contraire aux valeurs de l'Amérique et aux intérêts américains. Ils ont demandé aux États-Unis de ne pas s'engager dans la voie du « combat pour la liberté » que mène le peuple égyptien, selon Azzam.
L'événement de mardi organisé par le CSID a mis en avant les meurtres, les actes de torture et les emprisonnements d'opposants politiques commis par le régime de Sissi. Les intervenants ont cité un rapport de Human Rights Watch (HRW) datant de 2014 et qui constate que Sissi et l'armée égyptienne étaient probablement coupables de « crimes contre l'humanité ».
Le gouvernement militaire a tué des milliers d'Égyptiens, a mis au cachot des milliers de manifestants innocents et emprisonné plus de 40.000 dissidents politiques de tous bords, d'après Azzam, dont des libéraux et des islamistes.
Nafei a accusé les médias de « monter de toutes pièces » l'idée selon laquelle les Frères Musulmans souhaitaient créer un État religieux avant la destitution du président Mohamed Morsi en juillet 2013 et souhaitent encore le faire depuis lors.
« En réalité, il s'agit d'un État démocratique, pro-démocratique », a déclaré Nafei. « Il n'y a pas d'État religieux. Il n'existe pas de menace d'État religieux. »
La délégation a prié instamment les Américano-égyptiens de toutes tendances – chrétiens coptes et musulmans – à s'unir contre le gouvernement de Sissi. Dardery a demandé aux Coptes qui ont massivement soutenu Sissi, de rejoindre leur camp.
« La constitution élaborée en 2013… déclare clairement que tous les Égyptiens sont égaux », a déclaré Dardery à l'IPT. « Il n'y a pas de différence entre chrétiens, musulmans et juifs. »
« Nous vivons ensemble depuis plus de 1400 ans », poursuit-il. « Nous vivons depuis tout ce temps avec des églises et des mosquées côte à côte. »
Les déclarations de Dardery n'ont pas convaincu Michael Meunier, leader copte et partisan de Sissi qui a embrassé très tôt la révolution de 2011. Selon Meunier, qui s'exprime pour l'IPT depuis Le Caire, ce sont les Frères Musulmans qui ont fait basculer l'Égypte dans la violence après la chute de Morsi. Meunier a fait remarquer que les églises coptes ont été incendiées par des partisans des Frères Musulmans et que la cathédrale Saint-Marc du Caire a été attaquée par des islamistes alors que Morsi était en place.
S'exprimant sèchement sur l'attitude du Département d'État, Meunier a déclaré que la rencontre avec cette délégation ne fait que raviver les tensions entre Égyptiens et Américains en renforce le sentiment selon lequel les États-Unis ont joué un rôle dans l'ascension au pouvoir des Frères Musulmans.