Contrairement à d'autres, je confirme que l'islam radical existe bel et bien. Les politologues, en ce compris les politologues musulmans, appellent cela islamisme. Seule une partie de l'islamisme s'exprime par la violence – violence souvent identifiée au terrorisme. Une grande part de l'islamisme nourrit des ambitions non violentes tournées vers un nouveau totalitarisme qui revêt les caractéristiques d'un totalitarisme du XXe siècle et qui constitue désormais la plus grande menace de notre époque. L'islamisme est le nouveau totalitarisme.
En se décrivant comme musulmanes, l'EIIL et d'autres organisations du même type offensent les convictions de croyants musulmans du monde entier et notamment les miennes. Car moi qui suis née et qui ai grandi en tant que musulmane, et qui observe le monde musulman depuis toujours, j'affirme que les valeurs de l'EIIL ne représentent absolument pas l'islam car à l'instar d'autres groupes islamistes semblables comme Al-Qaïda, Jamaat Al-Nosra, Al-Shabaab, le Hamas, le Hezbollah, les Talibans afghans et pakistanais et d'autres, l'EIIL a un mépris total pour la morale islamique comme le montre son goût obscène pour la violation des droits de l'homme. Jusqu'à présent, l'EIIL surpasse tous les autres en barbarie.
Comme je l'ai dit la semaine dernière sur CNN, les mots ont leur importance.
La plupart des musulmans ne sont pas islamistes. Mais tous les islamistes sont sans conteste musulmans. En outre, l'immense majorité des personnes assujetties à l'islamisme et à sa violence, sont musulmanes. L'islamisme est lié à l'islam alors qu'il ne représente aucun aspect de l'islam. L'islamisme est lié à l'islam au détriment de ce dernier. Sans l'islam il n'y aurait pas d'islamisme. Ce dernier vole à l'islam sa légitimité et sa protection. C'est un parasitage dont il ne faut pas blâmer l'islam mais bien les musulmans islamistes ainsi que les parrains de l'islamisme.
Parmi ces parrains on compte plusieurs pays à majorité musulmane. La formation délibérée de djihadistes pour vaincre l'occupation de l'Afghanistan par les troupes soviétiques – les moudjahidines exploités comme des islamistes violents – ont servi les intérêts de superpuissances, dont les États-Unis, et le poids lourd régional qu'est le Pakistan musulman. L'Iran, la Turquie et l'Arabie Saoudite sont explicitement islamistes soit dans leur forme de gouvernement soit dans leur soutien à l'islamisme. Jusqu'à très récemment, on pouvait en dire autant de l'Égypte. L'Arabie Saoudite finance l'idéologie islamiste et, en échange, empêche l'islamisme de miner le royaume saoudien de l'intérieur. Le Pakistan a abandonné depuis longtemps ses idéaux démocratiques et laïques auxquels se sont mêlés des éléments islamistes par une « charia-isation » qui a conduit à l'érosion du pluralisme au profit de l'opportunisme politique.
Les États musulmans ont, dans leur propre intérêt, très largement nourri l'islamisme, comme une vipère en leur sein, sans jamais penser qu'un jour c'est leur existence même que pourrait menacer un tel venin.
Laisser penser que l'islam et l'islamisme ne sont pas liés, comme quand il s'agit de nier l'existence de l'islam radical, relève au mieux de l'amateurisme simpliste, au pire de la malhonnêteté intellectuelle. Il y a un risque accru dans le fait de simplifier le discours en raison soit de l'ignorance, soit d'une dérobade volontaire. En affirmant qu'il n'y a pas d'islam radical et en donnant pour prétexte fallacieux qu'« il n'y a que des terroristes qui sont musulmans », on confine l'islamisme à une seule dimension, à savoir la poursuite d'un djihadisme terroriste révolutionnaire. C'est faux. L'islamisme nourrit également des ambitions meurtrières non violentes – la version armée du blasphème qui a directement inspiré les attentats contre Charlie Hebdo.
L'islamisme profite de la confusion intellectuelle qui règne sur cette question. L'examen critique de l'islamisme est trop souvent taxé d'islamophobie, ce qui ne sert qu'à préserver l'islamisme de toute critique et à entretenir un mensonge bien pratique qui consiste à dire que l'islamisme, c'est l'islam.
Les régimes totalitaires éprouvent l'immense besoin d'une apparence de légitimité, ce vernis qui ferait d'eux des États légitimes. On ne s'étonnera pas de voir que l'islamisme professe comme un dogme que l'islam ne peut s'exprimer qu'en tant que dawla (État). L'expression islamique utilisée pour rendre compte de la notion d'État est introuvable dans le Coran. Elle est par contre bien renseignée dans les chartes des divers mouvements islamistes, comme celle du Hamas, et constitue la marque de fabrique de l'EIIL depuis le début de son existence.
Les intentions de l'EIIL sont claires quant à l'édification d'un État. L'acronyme arabe pour désigner l'EIIL, « Da'ech », signifie « ad-Dawlah al-Islāmīyah fī al-'Irāq wash-Shām » qui se traduit par « l'État islamique en Irak et au Levant ». La notion d'État figure aussi bien dans le nom de l'organisation que dans l'ambition politique que celle-ci s'est fixée à tout prix. Le fait de chercher à exprimer l'islam sous la forme d'un État est une ambition spécifiquement islamiste.
La terreur fait partie intégrante de tout État totalitaire. L'EIIL se définit par son goût pour la violence et la terreur. À l'instar de toutes les puissances totalitaires, l'EIIL exerce un monopole sur les communications, sur les armements et exerce un contrôle centralisé et absolu sur toute l'économie. Un an après avoir fondé un embryon d'État, l'EIIL a clairement montré ses intentions totalitaires dans tous ces secteurs. Le pouvoir absolu de l'EIIL s'exprime en partie par une domination totale sur sa population quotidiennement terrorisée et endoctrinée par l'EIIL et son terrorisme djihadiste révolutionnaire.
L'immolation par le feu du pilote jordanien, le lieutenant-colonel Moath Kasasbeh, loin d'être condamné comme un acte d'une « barbarie moyenâgeuse », est en réalité le moyen classique utilisé par l'islamisme totalitaire pour exercer sa terreur macabre. L'usage de la terreur par l'EIIL pour dominer et faire sa propagande est délibéré. En exerçant une telle terreur, l'EIIL établit son contrôle absolu sur une population qu'il a assujettie en la plongeant dans la crainte ou en séduisant (ses sympathisants) par le moyen pervers de la violence pornographique.
L'assassinat du pilote jordanien a déclenché, à juste titre, une réaction énergique dans le monde entier, y compris dans le monde musulman, mais cette indignation aurait dû se produire il y a bien longtemps déjà. Malheureusement d'autres atrocités n'ont pas réussi à susciter le même genre de sentiment. Cette nouvelle attitude pourrait s'expliquer par le fait que désormais, la vipère se rapproche dangereusement, que son venin apparaît clairement, et que les musulmans, sevrés de la bête qui nous ronge, sont enfin prêts à admettre l'existence de cet islam radical qui loge en notre sein.
Docteur en médecine, Qanta Ahmed est l'auteur de In the Land of Invisible Women: A Female Doctor's Journey in the Saudi Kingdom [Au pays de la femme invisible : séjour d'une femme médecin au royaume saoudien]. Vous pouvez la suivre sur Twitter @MissDiagnosis.