Le débat sur l'opportunité de l'emploi de locutions comme « extrémisme islamique » a pris une place centrale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international la semaine dernière à la Maison Blanche qui a accueilli un sommet pour discuter de ce qu'elle appelle généralement « l'extrémisme violent ».
Dans un discours prononcé jeudi dernier lors du sommet, le président Obama exprimait son raisonnement pour éviter les références à l'idéologie islamiste des groupes terroristes.
« Al-Qaïda, l'EIIL et d'autres groupes semblables recherchent la légitimité à tout prix. Ils essaient de s'afficher comme des responsables religieux, des combattants de la guerre sainte pour la défense de l'islam. C'est pourquoi l'EIIL a la prétention de s'autoproclamer « État Islamique ». En outre ils propagent l'idée selon laquelle l'Amérique – et plus généralement l'Occident – est en guerre contre l'Islam. C'est comme cela qu'ils recrutent. C'est comme cela qu'ils tentent de radicaliser des jeunes. Nous ne pouvons jamais accepter le principe qu'ils mettent en avant, car c'est un mensonge. Nous ne pouvons pas non plus accorder à ces terroristes la légitimité religieuse qu'ils recherchent. Ce ne sont pas des responsables religieux, ce sont des terroristes. »
Selon cette argumentation, le fait de décrire précisément leur idéologie ou le fait de les appeler « djihadistes », confère indument aux terroristes la légitimité de véritables représentants religieux. La politique actuelle vise à leur dénier ce rôle.
Il s'agit là d'une hypothèse. Or, personne ne semble se poser la question pourtant fondamentale de savoir si cette politique fonctionne.
Cette dernière n'est que la continuation de celle instituée lors du second mandat de la présidence de George W. Bush. Cette politique est donc en place depuis plus de sept ans. S'il s'agissait effectivement de la meilleure et la plus adéquate, ses défenseurs devraient pouvoir avancer des preuves tangibles de son efficacité.
Au vu de la masse de combattants étrangers qui affluent vers l'Irak et la Syrie pour rejoindre l'État Islamique ou au vu de la terreur sans limite que fait régner Boko Haram au Nigéria, on pourrait dire que l'idéologie islamiste n'a jamais été aussi populaire. Quant au Hamas, il jouit toujours d'un soutien important malgré la politique qu'il mène et qui conduit le peuple de Gaza au désastre.
Et on ne peut nier le fait que c'est la motivation religieuse qui anime ces groupes. Hamas est l'acronyme de « Mouvement de la Résistance islamique », Boko Haram signifie en gros « l'éducation occidentale est péché » et l'État Islamique possède une dimension religieuse évidente.
Ce mois-ci, The Atlantic a consacré un article de 10.000 mots pour expliquer l'essence de l'idéologie coranique en insistant sur une prophétie apocalyptique qui nourrit la brutalité de l'État Islamique. Dans cet article, Graeme Wood explique que celui-ci « suit une variante spécifique de l'islam dont les croyances concernant le voie qui mène au Jour du Jugement influent sur sa tactique et peuvent aider l'Occident à connaître son ennemi et à en prévoir les réactions. »
C'est un défi d'autant plus difficile à relever que ce système de croyances est volontairement dépourvu de toute réflexion.
Pour Jeffrey Bale, professeur agrégé qui se consacre à l'étude de l'extrémisme politique et religieux dans le cadre du Nonproliferation and Terrorism Studies Program [programme d'études sur la non-prolifération et le terrorisme] de l'Institute of International Studies [Institut d'études internationales] de Monterey, il est « absurde » que les dirigeants et experts occidentaux s'attachent constamment à éviter les références à la doctrine islamique.
Cette politique n'a « eu aucun résultat positif concret dans le traitement des menaces posées par de tels groupes », a-t-il écrit dans un courriel envoyé à l'Investigative Project on Terrorism. « Bien au contraire. Le fait est que, d'une part, ce sont les islamistes, et non les musulmans modérés, qui sont en train de remporter la bataille pour l'hégémonie idéologique dans une grande partie du monde musulman, et que, d'autre part, les tentatives d'Obama pour établir de nouvelles relations avec le monde musulman ont complètement échoué… En résumé, rien n'indique que le fait de flatter constamment les activistes islamistes, de s'efforcer d'embellir l'histoire et les doctrines de l'Islam et de répéter sottement que les groupes djihadistes « n'ont rien à voir avec l'islam », ait eu le moindre effet bénéfique. Cette attitude a principalement servi à semer la confusion auprès des citoyens occidentaux sur la nature et l'ampleur de la menace islamiste. »
Maajid Nawaz, un ancien radical qui tente désormais de combattre le discours à la base du terrorisme islamiste, affirme que cette politique de l'autruche pourrait aggraver la situation pour tout le monde, y compris pour les musulmans. Intervenu récemment sur les réseaux sociaux et à la télévision, Nawaz, qui est l'un des fondateurs du Quilliam Institute à Londres, appelle ce phénomène « l'effet Voldemort ».
L'islam est une religion, écrit-il. L'islamisme est la tentative d'établir la suprématie des lois religieuses sur toute une société. Telle est l'idéologie qu'il faut combattre et vaincre mais « cela ne pourra se faire tant qu'on refusera de reconnaître son existence », écrit-il dans un message posté sur un réseau social à l'attention d'Obama et qu'il signe « un musulman libéral constamment trahi ».
En d'autres termes, si nous n'osons pas appeler cette idéologie par son nom, celle-ci suscitera encore plus de frayeur chez ses ennemis et encore plus d'attrait chez ses recrues potentielles.
Intervenu récemment sur Fox News, Nawaz a exprimé son inquiétude face à cette autocensure qui, en réalité, rend plus difficile le quotidien de la grande majorité des musulmans qui rejettent la violence terroriste de l'État Islamique, de Boko Haram, d'Al-Qaïda et d'autres.
Les non-musulmans en Occident « sont tout simplement pétrifiés », dit-il, « ce qui peut conduire à un regain de crimes de haine antimusulmans. Car s'ils sont incapables d'identifier précisément le problème auquel nous sommes confrontés, à savoir l'idéologie islamiste, dans leur ignorance, ce sont tous les musulmans qu'ils blâment. Et bien évidemment, ce sont tous les musulmans qui en subissent le contrecoup. C'est pourquoi je pense qu'il est préférable, si nous voulons protéger la majorité des musulmans des crimes de haine à leur encontre, de nommer l'idéologie tout à fait particulière dont nous parlons, qui est l'islamisme, et de la distinguer de la foi musulmane. »
Nawaz lance une hypothèse, tout comme les gens qui défendent la politique menée par l'administration Obama. Toutefois, il y a entre les deux une différence de taille. Comme il le décrit dans son autobiographie, Nawaz a participé au recrutement de disciples pour le Hizb ut-Tahrir, un organisme qui rêve d'un califat mondial et qui été qualifié de « courroie de transmission » de la terreur djihadiste. Il sait quels sont les messages qui passent et ceux qui ne passent pas.
La semaine dernière, certains islamistes américains ont montré que le message d'Obama ne passe pas. Ils ont critiqué le sommet organisé par la Maison Blanche, le jugeant hostile aux musulmans et ce, en dépit des contorsions verbales employées précisément pour éviter ce genre de réaction.
Si l'on examine le problème de la violence extrémiste, on constate, selon leur argumentation, que la menace la plus importante émane de mouvements de droite anti-gouvernementaux. Il s'avère que le Département américain de la sécurité intérieure est préoccupé par la violence émanant de mouvements « citoyens souverains » qui se croient dispensés de l'État fédéral et de ses lois.
Toutefois on aurait tort d'en parler, selon ce qu'écrivaient Linda Sarsour et Deepa Iyak dans le quotidien The Guardian du 17 février.
« Une chose est claire : la méthode à sens unique employée par le gouvernement fédéral pour lutter contre la violence extrémiste favorise la méfiance et l'hostilité à l'égard des communautés musulmanes tandis qu'elle néglige la menace que représente la haine raciste de certains groupes pour la sécurité des Américains. »
Il y a toutefois une différence importante. Dans leur grande majorité, les attentats perpétrés par des citoyens souverains sont de moindre envergure et se produisent souvent dans le cadre d'altercations ordinaires avec les forces de l'ordre. CNN cite l'exemple d'un contrôle de police qui, en 2012, a donné lieu à une fusillade entre la police et un père et son fils.
Ce que veulent les islamistes, ce qu'ils exigent de leurs partisans, ce sont des attentats qui font un maximum de victimes, soit parmi des groupes spécialement visés pour avoir prétendument offensé l'islam, soit simplement dans des lieux très fréquentés.
Les États-Unis se sont appliqués, en se donnant parfois beaucoup de mal, à suivre rigoureusement une politique consistant à éviter de coller une étiquette religieuse sur un terrorisme alimenté de toute évidence par une adhésion farouche à une théologie islamique vieille de plusieurs siècles. Le flot ininterrompu de nouvelles recrues en direction de l'État Islamique indique que cette politique n'a pas eu les effets escomptés.
« Les dirigeants politiques américains ne comprennent toujours pas l'islamisme, ou ce qui motive les jeunes musulmans à aller faire le djihad, à savoir des convictions religieuses sincères basées sur les textes fondamentaux de l'islam et plus particulièrement sur la période originelle de Médine, marquée par un islam politisé et agressif (en opposition à l'islam spiritualiste et ascétique de la période de La Mecque) », écrit Ayaan Hirsi Ali, une ancienne musulmane, dans le magazine Time.
« Comment s'attaquer au problème des convictions religieuses dévoyées des jeunes musulmans ? La solution réside dans une réforme en profondeur de l'islam – non pas de l'islam radical mais bien de l'islam majoritaire – par rapport à sa propension à confondre la Mosquée et l'État, la religion et la politique et par rapport à l'accent qu'il met à placer son système juridique élaboré, la charia, au-dessus des lois civiles produites par des législateurs humains. »
Pour l'Occident, le fait d'employer un langage aseptisé et de tourner autour du pot rend impossible une compréhension véritable des motivations de l'ennemi, écrit Robert R. Reilly, directeur de recherches à l'American Foreign Policy Council (Conseil américain pour la politique étrangère).
« Vous ne pouvez pas vous lancer dans une guerre d'idées sans comprendre les idées que vous combattez. Pourtant, tout au long de ses deux discours, Obama n'a pas mentionné une seule fois ce en quoi consistent les idées de l'ennemi », écrit Reilly, « C'est comme si, durant la Deuxième Guerre mondiale, on avait prétendu combattre l'idéologie nazie sans jamais évoquer la pensée de Friedrich Nietzsche, d'Alfred Rosenberg ou d'Adolf Hitler. Ou comme si en pleine Guerre froide, on avait prétendu lutter contre l'idéologie communiste sans jamais évoquer les idées de Marx, de Lénine ou de Staline. »
Plutôt que de continuer à reproduire ce comportement tout en espérant que les choses iront mieux, il serait peut-être temps d'écouter les réformateurs musulmans qui demandent une approche certes bienveillante mais plus honnête et plus ferme. Chaque jour, des terroristes commettent des actes barbares au nom de l'islam. Cela ne veut pas dire que tous les musulmans, ni même la plupart d'entre eux, voient de tels commandements dans leur religion.
On pourrait davantage discréditer les terroristes en insistant sur le fait que la plupart de leurs victimes sont des coreligionnaires musulmans et en établissant une distinction nette entre les terroristes et les millions de musulmans qui rejettent leur sauvagerie.
Mais bien sûr, il ne s'agit là que d'une hypothèse.