The Investigative Project on Terrorism
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Les dessous des « galas du djihad » aux Pays-Bas

par Abigail Esman
Special to IPT News
27 février 2015

Guest Column: Disturbing Questions Lurk Behind Dutch "Jihad Galas"

Qu'il est difficile de choisir la robe la plus belle ou le costume le plus seyant pour la cérémonie des Oscars ou le bal de promo. Mais que dire alors quand il s'agit de trouver la burqa idéale pour un gala djihadiste ?

Deux soirées de ce genre, prétendument organisées pour collecter des fonds destinés à l'aide humanitaire en Syrie, en Palestine et ailleurs au Moyen-Orient et en Asie, ont suscité la polémique ces dernières semaines aux Pays-Bas. Les organisateurs de ce que la presse locale a surnommé les « galas djihadistes », ont été contraints de réarranger leurs programmations après que le gouvernement néerlandais eut manifesté son inquiétude par rapport à la présence de certains intervenants.

Ce faisant, l'intérêt accru porté à ces deux événements a permis de montrer que toutes ces démarches et les gens qui les organisent cachent bien des mystères et des doubles jeux.

Le premier événement, qui devait dans un premier temps avoir lieu le 1er mars à Utrecht, visait à collecter des fonds pour, entre autres, le World Wide Relief (WWR), une organisation basée aux Pays-Bas qui vient notamment en aide aux enfants en Syrie. Le second événement, initialement programmé pour le 8 mars à Rijswijk et reprogrammé désormais sous la forme d'une webconférence en direct réalisée depuis un lieu non communiqué, sera organisé au profit de la Fondation Rohamaa, association caritative néerlandaise qui se dit « d'inspiration islamique » et qui vient en aide à des communautés au Maroc, en Tunisie, en Égypte et en Turquie méridionale.

Or selon un certain nombre de sources, les deux organismes, qui proclament avoir chacun collecté des centaines de milliers d'euros auprès des musulmans néerlandais, ont des liens avec des prédicateurs salafistes et des partisans de l'EIIL et d'Al-Qaïda. Plusieurs de ces prédicateurs ont été invités à prendre la parole lors de ces galas. Certains, originaires du Moyen-Orient, ont même reçu des visas des autorités néerlandaises à cette fin. Sans attendre, des parlementaires néerlandais inquiets, munis d'informations fournies par le coordinateur national pour le contre-terrorisme, ont protesté et ont demandé avec succès le retrait des visas en raison des positions salafistes et antioccidentales des imams concernés. Le tumulte provoqué par cette situation a conduit les organisateurs des deux galas à modifier leur programme, ce qui n'a pas empêché Rohamaa d'insinuer que les personnes qu'elle avait invitées à s'exprimer interviendraient malgré tout au cours de la webconférence.

Alors qu'aucun des deux événements n'a été interdit par les autorités (la fondation Rohamaa a décidé de maintenir la manifestation en ligne), la controverse autour des deux galas a provoqué des débats animés sur le sens à donner à la « liberté d'expression » dans le contexte actuel. Peut-on dans le même temps autoriser les discours et dessins provocateurs de Charlie Hebdo, et interdire les déclarations antioccidentales ou les imams salafistes ? Et si oui, pourquoi ?

On touche là à une question très sensible qui échauffe les esprits depuis un certain temps déjà, même parmi les membres des Nations Unies : la résolution 16/18, une initiative de l'Organisation de Coopération Islamique (OCI) qui interdit tout discours susceptible « d'inciter à une violence imminente », a reçu l'approbation des États-Unis en 2011.

Le problème posé par cet argument et la résolution 16/18, c'est que les caricatures de Mahomet ne constituent pas en soi une incitation à la violence, même si certains musulmans peuvent penser le contraire. Ces caricatures ne sont comprises comme une incitation que par des religieux fanatiques et des islamistes qui déclarent, au moyen d'une logique tordue, que la colère et l'insulte sont des motifs suffisants pour justifier un comportement violent.

À ce propos, on retrouve parmi les orateurs invités aux galas néerlandais l'imam égyptien Wahid Baali, qui a déploré le meurtre d'Oussama Ben Laden, et le cheikh saoudien Assim al-Hakeem, connu pour approuver l'exécution de juifs et de chrétiens ayant insulté le prophète Mahomet et pour soutenir que les femmes sont obligées de satisfaire aux besoins sexuels de leur mari (Al-Hakeem est l'un de ceux dont le visa a été retiré).

L'un des invités de Rohamaa, Muhammad Hassan, a qualifié les juifs de « créatures odieuses et répugnantes ». Il possède par ailleurs la chaîne Al-Rahma TV dont les programmes, selon MEMRI, incitent régulièrement les musulmans à l'anéantissement des juifs. En matière « d'incitation à la violence », on pourrait difficilement trouver meilleur exemple que celui-là.

La World Wide Relief (WWR) semble avoir tissé un réseau particulièrement complexe et solide de vedettes du monde salafiste. Ainsi le fondateur de la WWR Abou Hafs, qui collabore avec Al-Hakeem et Baali, est en outre devenu l'ami de l'extrémiste belge Tarik Chadlioui, alias Tarik ibn Ali, considéré comme l'un des principaux bailleurs de fonds des causes salafistes en Europe. Pas plus tard que l'année dernière, Ronald Sandee, ancien membre des services secrets néerlandais, décrivait Chadlioui comme « l'une des personnes les plus influentes auprès des organisations aujourd'hui interdites Sharia4Belgium, Millatu Ibrahim en Allemagne et Sharia4Holland. Il a de nombreux contacts sur les réseaux sociaux avec des jeunes de Belgique, des Pays-Bas, d'Allemagne partis faire le djihad en Syrie. »

Par ailleurs, selon le quotidien néerlandais NRC Handelsblad, la WWR est régulièrement encensée sur les sites djihadistes néerlandais alors que Hafs est lui-même connu pour avoir glorifié les musulmans néerlandais ayant fait le voyage en Syrie pour y mener le djihad. Le père de Sultan Berzel, ce kamikaze néerlandais de 19 ans qui a tué 20 personnes en se faisant exploser à Bagdad, a accusé Hafs d'avoir répandu « l'idéologie de l'EI ».

Dans des discours prononcés un peu partout dans le pays, Hafs a appelé ses coreligionnaires musulmans à résister à l'influence des « kouffars » (infidèles) et à se séparer de la société néerlandaise sécularisée en n'allant pas voter aux élections organisées dans le pays.

Si tout cela ne suffit pas à vous empêcher de commander un niqab ou une abaya chez Albert Nipon ou chez Alaia, ni d'envoyer vos dons pour ce genre de causes, sachez ceci : personne ne semble savoir exactement ce que Rohamaa et World Wide Relief font concrètement de tous ces dons.

Même si Rohamaa affirme travailler par Allah « d'une façon islamique », sa manière d'agir semble des plus secrètes. Ainsi, son site web ne fournit aucune information sur ses agents et ses administrateurs et encore moins sur ses activités financières (un bouton « sponsors » sur sa page d'accueil est inactif). Hormis les informations bancaires classiques susceptibles d'intéresser tout donateur, il est apparemment impossible de disposer d'un quelconque document relatif aux finances de l'organisation.

Même chose en ce qui concerne la World Wide Relief. Une enquête approfondie réalisée par le NRC Handelsblad a révélé que l'organisation n'est jamais parvenue à soumettre un rapport annuel sur ses activités comme la loi l'exige. Il y a peut-être une raison à cela : en se basant sur les informations disponibles sur le site web de l'association, Roland Sandee, qui est à présent analyste en chef du djihad mondial pour le think tank Kronos Advisory, a calculé que la moitié seulement des 150.000 euros prétendument consacrés à l'aide humanitaire en Syrie avait réellement été dépensée – une somme sur l'utilisation de laquelle on manque de détails. Ce que sont devenus les 75.000 euros restants demeure un mystère. Et ce, alors que des dizaines de musulmans européens font route vers la Syrie sous couvert de « l'aide humanitaire ». En fait, comme le rapporte le NRC, de nombreux donateurs de ce type finissent eux-mêmes par « réapparaître en Syrie comme djihadistes. » Des responsables ont également confié au NRC qu'une « partie des fonds collectés pourrait être consacrée à des causes non humanitaires. »

À la cérémonie des Oscars, on connaît au moins, indépendamment de la tenue vestimentaire, le nom des gagnants. Pour les galas du djihad, la seule chose certaine c'est que c'est nous qui sommes les perdants.

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