Avertissement aux parents d'étudiants fréquentant les universités américaines. Il se peut que vos enfants soient en insécurité.
Cette mise en garde ne concerne pas des dangers d'ordre physique, comme une agression sexuelle ou des fusillades aveugles, que l'on pourrait courir dans les universités. Selon des associations de défense, il s'agit plutôt du risque encouru par les étudiants d'être – tenez-vous bien – exposés à des idées et des opinions qu'ils pourraient ne pas aimer.
La situation est devenue si critique que cette semaine, la section newyorkaise du Council on American-Islamic Relations (CAIR, Conseil aux relations islamo-américaines) a demandé que le Brooklyn College « prenne des mesures pour assurer la sécurité des étudiants musulmans et arabo-américains » en raison de l'intervention prochaine d'un virulent critique de l'islam.
Pamela Geller, auteur de tracts publicitaires comparant les terroristes musulmans à des sauvages, est un personnage controversé. Toutefois son intervention ne sera rien de plus qu'un discours prononcé sur un campus universitaire. Il n'y a pas si longtemps, des endroits comme celui-là encourageaient les étudiants à « penser l'impensable, discuter l'indiscutable, contester l'incontestable. »
À présent, ils sont de plus en plus souvent appelés à aseptiser le débat afin de protéger l'âme sensible de jeunes adultes.
Plutôt que d'encourager les étudiants soit à faire l'impasse sur l'événement, soit à y assister pour pouvoir questionner Geller, le CAIR a choisi d'effrayer les étudiants et par extension leurs parents en insinuant que la conférence allait sombrer dans la violence.
Cette insinuation est sans fondement. Pourtant il ne s'agit pas d'un incident isolé.
Dans le magazine Time, la journaliste Asra Nomani décrivait les tentatives de la semaine dernière visant à l'empêcher de prendre la parole à la Duke University. Elle avait l'intention « d'argumenter en faveur d'une interprétation progressiste et féministe de l'islam dans le monde ». Mais apparemment, ce discours était inacceptable pour certaines personnes de la prestigieuse université. Au départ, écrivait Nomani, la vénérable institution a annulé le discours « après que le président de la section locale de la Muslim Students Association (MSA, association des étudiants musulmans) eut envoyé un courriel aux étudiants musulmans me concernant moi ainsi que mes "opinions", en prétendant que j'entretiens une "alliance" abjecte avec des "orateurs islamophobes". »
« Nous ne l'aimons pas et nous n'aimons pas les gens qui approuvent ce qu'elle dit », a déclaré la MSA, organisme créé par les Frères Musulmans aux États-Unis, « Excluez-la ». Heureusement, la Duke University est revenue sur sa décision et a promis qu'elle était « fermement engagée en faveur de la libre expression et de la discussion ouverte de sujets controversés. » Toutefois, le message envoyé aux jeunes musulmans était clair : le discours et les idées de Nomani sur la modernisation de la foi sont une menace dont il faut se tenir à l'écart.
Pire encore. La protestation étudiante a été alimentée par un professeur de la Duke University, Omid Safi, un dirigeant du Centre islamique de l'Université, qui avait déjà par le passé accusé Nomani, une musulmane, de « favoriser l'islamophobie », une invention utilisée par les groupes islamistes radicaux, comme l'observait Nomani dans un article paru en janvier dans le Washington Post, pour intimider les gens et les dissuader de critiquer l'islam radical.
Seules neuf personnes ont assisté à la conférence de Nomani. Trois d'entre elles étaient des membres de sa famille.
Animée par la déception plus que par la colère, Nomani écrivait que cet incident montre la nécessité d'avoir « un débat plus large sur la manière dont beaucoup trop de musulmans répondent aux critiques formulées à propos de l'islam : les rebuffades, les boycotts, les appels à la censure, l'exploitation de la tendance à éviter les conflits et à favoriser le politiquement correct, sont autant de moyens employés pour étouffer le débat. En tant que journaliste exerçant depuis 30 ans, je pense que nous devons défendre le principe américain de liberté d'expression et favoriser la discussion critique, particulièrement quand celle-ci met certaines personnes mal à l'aise. »
Apparemment, cela ne se produira pas de sitôt.
Au moment où Nomani se demandait si elle allait prendre la parole à la Duke University, d'autres campagnes étaient menées en faveur de l'annulation de la projection du film « American Sniper » sur les campus de la Michigan University et du Polytechnic Institute de Rensselaer.
La projection du film décrivant le commandant de la Navy, Chris Kyle, a dans un premier temps été annulée par la Michigan University qui a ensuite fait marche arrière face à une opposition croissante au sein de l'université et sur le point de prendre une ampleur nationale. Le film sera reprogrammé et suivi d'un débat.
Peu avant la reprogrammation du film, Nick Gillespie, rédacteur en chef du site web libéral Reason, écrivait : « La pression en faveur de l'élimination de toute pensée, parole ou action négative dans et hors des salles de classe ou des campus est un fait scandaleux largement documenté. Mais cette capitulation minable, la dernière en date, de la part d'administrateurs incapables face aux revendications d'étudiants favorables à une éducation aseptisée, rappelle à plusieurs d'entre nous l'époque où l'université était censée être un lieu de discussions et non l'endroit où on interdit ces dernières avant même qu'elles commencent. »
Il s'agit là d'événements relativement peu importants – un discours dans une salle d'université, la projection d'un film – auxquels les étudiants peuvent choisir d'assister ou de renoncer selon leurs intérêts. Nul besoin d'avoir le veto d'un fort en gueule décidant pour les autres du caractère acceptable de tel sujet de discussion ou de tel intervenant.
Pourtant, des associations d'étudiants souvent dirigées par des sections universitaires de la MSA prennent la responsabilité de décider de ce qu'il est permis aux autres d'entendre. En 2011, 10 personnes liées à la Muslim Student Union (MSU, Union des étudiants musulmans) ont été condamnées pour un double délit après avoir tramé un plan visant à empêcher la tenue à la University of California (UC) d'Irvine, d'une conférence donnée par l'ambassadeur d'Israël de l'époque, Michael Oren.
Des courriels que s'est procuré l'Investigative Project on Terrorism et qui ont par la suite été admis comme preuves lors du procès, montrent que la MSU avait échafaudé un « plan d'attaque » pour chahuter l'intervention de l'ambassadeur Oren.
« Notre but est de lui faire savoir qu'il ne peut pas venir comme ça dans une université et dire ce qu'il veut », indiquait l'un des courriels. Il a été conseillé aux membres de « pousser le bouchon » suffisamment loin pour que « la section de la MSU de l'UC Irvine joue son rôle. »
Cette même section de l'association a cautionné à plusieurs reprises des discours de haine tenus en plein air sur le campus. Six mois après la condamnation des « 11 d'Irvine » (l'un des étudiants n'a pas été traduit devant le tribunal), la MSU a présenté l'intervention de l'imam Abdul Malik Ali. Dans des discours tenus antérieurement au sein de l'UC d'Irvine, Malik Ali disait qu'il soutenait le Hamas, le Hezbollah et le djihad et avait qualifié Obama de « leurre », plusieurs des proches conseillers de ce dernier étant juifs.
En 2012, il raillait ce qu'il considérait comme un impérialisme américain conduit par des potentats racistes et des « sionistes ».
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Il s'agit là d'un horrible deux poids, deux mesures.
Ces groupes qui essaient de faire taire les discours de personnes qu'ils n'aiment pas, se lancent dans des manifestations agressives et provocatrices au sein même de nombreuses universités et empêchent ainsi les gens de choisir d'écouter ou non ce qui se dit.
À la University of California de Berkeley, des étudiants se sont retrouvés face à de faux « checkpoints » au cours de protestations annuelles appelées « Israeli Apartheid Week » [la semaine de l'apartheid israélien]. Ces points de contrôles étaient constitués d'étudiants armés de faux pistolets qui demandaient en beuglant : « Vous êtes juif ? », à tous ceux qui passaient par là. Un étudiant a même été agressé.
Par contre, quand Berkeley a invité le comédien athée, invité de talk-shows, Bill Maher à s'exprimer lors d'une cérémonie en décembre, plus de 6000 personnes ont signé des pétitions demandant instamment l'annulation de l'invitation. Une fois de plus, le fait d'être confrontés à des idées qu'ils pourraient ne pas aimer a été considéré comme une menace par certains étudiants activistes.
« En tant que représentant des étudiants de la University of California, je ne peux cautionner une quelconque action qui produirait un sentiment d'insécurité chez nos étudiants », écrivait Sahar Pirzada en tête de la pétition. « En raison de son sectarisme et de son sexisme, Bill Maher ne devrait pas avoir l'honneur d'être invité comme conférencier sur notre campus. »
« À un moment où la préservation du climat est une priorité pour nous tous à l'université, nous ne pouvons pas inviter un individu qui génère un environnement d'étude dangereux », écrivait Sadia Saifuddin. « Les déclarations publiques de Bill Maher à propos de différentes religions et cultures sont offensantes et sa rhétorique dangereuse s'est infiltrée dans nos communautés universitaires. Trop d'étudiants sont stigmatisés par ses réflexions et si l'Université invitait cet individu comme orateur, elle ne soutiendrait pas ces communautés traditionnellement stigmatisées. »
Une rhétorique dangereuse qui produirait chez certains un sentiment d'insécurité… Maher a toutefois bel et bien pris la parole. Un tas de gens n'étaient probablement pas d'accord avec son message centré sur le changement climatique et la défense du libéralisme. Toutefois aucun incident n'a été signalé.
Berkeley a le mérite d'être restée sur ses positions. La Brandeis University, qui doit son nom à un juge de la Cour suprême défenseur de la liberté d'expression, a retiré une invitation semblable faite à Ayaan Hirsi Ali. On trouvera ici ce que ses détracteurs craignaient d'entendre.
À titre d'exemple, supposons que toutes les choses horribles dites par les détracteurs d'intervenants tels que Nomani, Ayaan Hirsi Ali ou Maher, soient tout à fait exactes.
Il n'en reste pas moins que ces derniers ont une certaine audience et ne changeront pas d'opinion. Dès lors, à quoi bon mettre de jeunes personnes à l'abri des réalités du quotidien – notamment le fait que les gens ne seront pas toujours, voire rarement d'accord avec vous – et ce, dans le lieu même où ils sont censés se préparer à la vie active ? Le mieux serait plutôt de protéger et de défendre l'un des principes fondateurs de l'Amérique, à savoir la promotion du droit à la liberté d'expression.