Dans une rue animée du 6ème arrondissement de Paris, des hommes en treillis armés de fusils d'assaut Famas montent la garde patiemment toute la journée. Cette scène est insolite quand on sait qu'elle se passe dans un quartier de boutiques à la mode et de restaurants très fréquentés. Mais le gérant d'un hôtel tout proche, lui, indique d'un regard avisé que le bâtiment placé sous leur garde abrite une organisation juive.
C'est ainsi désormais que vit Paris depuis les attentats terroristes qui, en janvier dernier, ont coûté la vie à 17 personnes, parmi lesquelles des juifs massacrés dans un hypermarché casher quelques heures avant le shabbat.
On retrouve aussi cette atmosphère dans le Marais, quartier bien connu pour sa population juive. La présence de militaires lourdement armés y est devenue banale, dans cette lutte que le gouvernement français a entreprise pour préserver la communauté juive – et le reste de la population française – de la violence urbaine meurtrière du terrorisme islamique.
Depuis l'éclatement de la guerre en Syrie et surtout depuis l'avènement de l'État Islamique (EI ou EIIL), la crainte d'un attentat terroriste imminent s'est emparée d'une grande partie de l'Europe. Sur les milliers de musulmans européens partis là-bas pour rejoindre l'EI et d'autres groupes djihadistes, des centaines sont morts dans les combats. Des centaines d'autres, par contre, sont revenus et, parmi eux, des dizaines ont été arrêtés pour préparation d'attentats au cœur de l'Europe (avant de commettre l'attentat meurtrier de l'hypercacher, Amedy Coulibaly n'est pas allé faire le djihad en Syrie mais a fait allégeance à l'État Islamique).
En guise de réponse à cette menace, les responsables européens se sont évertués à chercher des solutions à la fois préventives et répressives – que ce soit l'incarcération immédiate de ceux qui reviennent de Syrie ou d'Irak ou la confiscation des passeports des personnes suspectées de vouloir rejoindre l'EI et le djihad.
Mais à présent, la France travaille à une nouvelle approche du problème. En reconnaissant que la « guerre contre le terrorisme » – et particulièrement la guerre contre le terrorisme islamique – ne se limite pas à une lutte classique impliquant des nations, des territoires et des pouvoirs mais que cette lutte présente également une dimension idéologique, elle a compris que ce problème et les solutions à celui-ci ne s'envisagent plus uniquement en termes de bombes, d'armées, de Kalachnikovs, de décapitations ou encore de captures de combattants mais également en termes d'idées, de propagande et de séduction des esprits.
À titre d'exemple, en 2012, l'Université catholique de Lyon a dispensé des cours sur la laïcité à des imams et à d'autres musulmans travaillant dans la sphère publique. À la suite des attentats de janvier, et selon ce qu'a écrit récemment Elisabeth Bryant, la France a l'intention de rendre cet enseignement obligatoire dans tout le pays, impliquant des « centaines d'imams » ainsi que des « aumôniers dans les prisons et l'armée ». On sait que les prisons sont des endroits propices au développement de l'islam radical et au recrutement pour le djihad. Coulibaly s'est converti à l'islam radical alors qu'il purgeait une peine de prison à Fleury-Mérogis, tout comme Chérif Kouachi, l'un des deux frères auteurs des attentats du 7 janvier contre Charlie Hebdo.
Plus significatif encore, le France est désormais en train de mener sa guerre contre l'islam radical et le racisme dans les écoles : en formant les professeurs et en ajoutant des cours sur la laïcité et l'éthique dans le cursus scolaire. C'est le genre d'initiative qu'il serait judicieux, pour le reste de l'Europe ainsi que pour les États-Unis, de garder à l'œil.
De telles mesures indiquent un revirement majeur par rapport aux politiques menées par les gouvernements européens en matière d'accueil des populations musulmanes et ce, depuis l'arrivée dans les années 1970, des premiers travailleurs musulmans en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Pendant des décennies, les communautés musulmanes d'Europe ont quasiment fonctionné en vase clos : ignorant souvent les traditions laïques de l'Europe, elles ont instauré et pratiqué leurs propres traditions à forte connotation religieuse. De son côté, l'Europe a fermé les yeux sur leurs activités, en raison d'un reste de culpabilité – produit de la discrimination religieuse durant l'Holocauste – couplé à l'idée, abandonnée depuis longtemps déjà, selon laquelle les travailleurs immigrés musulmans finiraient un jour ou l'autre par retourner dans leur pays d'origine.
Mais ces travailleurs sont restés et, à mesure que la communauté musulmane européenne grandissait, les lieux de prières improvisés dans des entrepôts et autres commerces inoccupés sont devenus trop étroits pour accueillir les croyants. Il a donc fallu construire des mosquées. Or, les communautés n'avaient pas les moyens de s'en construire et les gouvernements laïques refusaient de fournir des fonds. La voie est donc demeurée libre, dans toute l'Europe, pour un financement saoudien (massif) de nombreuses mosquées et d'imams qui, venus prêcher une version rigide, fondamentaliste et parfois violente de l'islam, ont acquis de l'influence auprès d'une communauté de jeunes musulmans européens en constante et rapide augmentation. Même durant ces quatre dernières années, selon Bryant qui cite des chiffres du Figaro, « le nombre de mosquées contrôlées par des prédicateurs salafistes fondamentalistes [en France] a doublé, passant de 44 à 89. »
Avec pour résultat, un phénomène de radicalisation.
Phénomène que l'on observe également dans les écoles publiques, où les élèves musulmans sont parvenus à modifier le cursus pour le mettre en adéquation avec leurs exigences religieuses. Les filles musulmanes sont souvent autorisées à ne pas participer à des excursions scolaires, par exemple, ou à manquer les cours mixtes de gymnastique. Quant aux professeurs qui tentent de donner un cours sur l'Holocauste, ils sont souvent menacés par les élèves musulmans d'une façon telle que certains ont purement et simplement renoncé à donner cours. Une telle situation constitue un terrain favorable pour les recruteurs de l'islam radical et des groupes djihadistes comme l'État Islamique, qui trouvent là de plus en plus de proies faciles. Fondamentalement, le système européen actuel leur a déjà ouvert toutes les portes. Il ne leur reste plus qu'à entrer.
Mais l'initiative récente de la France pourrait changer la donne. Alors que certains accusent la France de remplacer le fondamentalisme islamique par un « fondamentalisme laïc », les défenseurs de ce programme, comme le Premier ministre Manuel Valls, affirment très justement que « la laïcité doit être appliquée partout car c'est de cette manière que chacun pourra vivre en paix avec les autres. »
Reste à voir si cela fonctionnera face à cette hydre pernicieuse qu'est le terrorisme islamique. Il est certain que tout changement prend du temps, une génération peut-être, voire plus. Et même si l'objectif est un idéal, il n'en reste pas moins que c'est un idéal pour lequel il faut se battre. N'est-ce pas un guerrier tel que Napoléon qui disait un jour : « Il n'y a que deux puissances au monde, le sabre et l'esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l'esprit. »
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.