Mardi matin, deux agents, l'un de la police de Boston et l'autre du FBI, ont abattu un homme, affirmant que ce dernier se précipitait vers eux armé d'un couteau de type militaire alors qu'ils tentaient de l'interroger.
Usaama Rahim était apparemment surveillé par une Task Force commune contre le terrorisme qui enquêtait sur ses éventuelles sympathies pour les terroristes de l'État Islamique (EIIL). Le manque d'information vérifiée n'a pas empêché les réseaux sociaux de s'enflammer presque aussitôt en affirmant qu'au moment où il a été abattu dans le dos, Rahim ne faisait qu'attendre le bus tout en téléphonant à son père. Le Council on American Islamic Relations (CAIR, Conseil aux relations islamo-américaines) s'est servi de sa page Facebook pour promouvoir une théorie sans fondement : Rahim aurait été abattu de sang froid et l'enquête antiterroriste aurait été montée de toutes pièces pour masquer cette réalité.
Les autorités « ont ajouté un volet sur la sécurité nationale pour diviser et conquérir le mouvement », écrivait Linda Sarsour, directeur exécutif de l'Arab American Association de New York, dans un message reposté par le bureau national du CAIR. « En fin de journée, un homme noir a été abattu à un arrêt de bus alors qu'il partait au travail et nous devrions considérer cela comme un fait banal de violence policière. Tout ce que nous voulons, ce sont des réponses à nos questions. »
Bien entendu, il s'agit seulement de poser des questions. Mais est-ce qu'une personne dont le niveau de connaissance en matière d'enquêtes policières ne se limite pas aux rediffusions des épisodes de « La Loi et l'Ordre », peut espérer avoir des réponses à toutes les questions qu'elle se pose sur une fusillade policière en l'espace de six heures ? La vérité, semble-t-il, est bien différente de cette revendication.
Le CAIR utilise systématiquement la stratégie de la peur afin d'entretenir la suspicion et la paranoïa des musulmans américains par rapport aux forces de l'ordre. En 2011, l'un de ses bureaux californiens s'est servi d'un dessin représentant la silhouette d'un agent du FBI rôdant aux abords des maisons, pour encourager les musulmans à « bâtir un mur de résistance » et à « ne pas parler au FBI ».
La directrice de la même section, Zahra Billoo, a posté une série de ses propres questions sur la mort par balles de Rahim et en a retweeté d'autres, dont l'une déclarait que la mort de Rahim « était un meurtre – le meurtre d'un homme noir musulman. »
Citant des sources policières, CNN a rapporté que Rahim « appartenait à un réseau terroriste ad hoc » et que la police a ouvert le feu « après qu'il eut brandi un couteau de type militaire en direction des agents. » D'autres sources ont indiqué que les autorités s'inquiétaient du fait que Rahim avait été radicalisé par l'EIIL sur les réseaux sociaux et aurait pu tenter de s'en prendre à la police.
La possibilité selon laquelle Rahim faisait l'objet d'une attention tout à fait justifiée et légitime de la part des forces de l'ordre n'a jamais été évoquée par le flot de messages postés sur les réseaux sociaux et dont le but est de dépeindre les officiers en question comme de vulgaires assassins.
« Je ne suis pas enclin à croire la version du FBI selon laquelle il aurait essayé de rejoindre (l'EIIL) », écrivait dans un message posté sur Facebook Dawud Walid, le responsable du CAIR pour le Michigan. « Je n'ai aucune raison de les croire cette fois-ci. Toutefois, même si cela était vrai, cela ne justifierait pas l'usage excessif de la force – la famille déclare qu'on lui a tiré dans le dos. De plus, il était au téléphone avec son père quand les forces de l'ordre l'ont approché et l'ont mortellement touché. »
Pas un traître mot de tout ceci n'est vrai.
Walid évoque ensuite la mort de l'imam radical de Détroit, Luqman Abdullah, abattu par le FBI en 2009. La campagne menée par Walid pour dénoncer cette mort comme injuste, se poursuit en dépit des enregistrements vidéos qui montrent Abdullah en train de refuser de se rendre au moment où des agents se dirigeaient vers lui pour l'arrêter. Des enquêtes indépendantes menées par le ministère fédéral américain de la Justice et le ministre de la Justice du Michigan ont constaté que « Abdullah était armé, s'est opposé à son arrestation et a refusé d'obtempérer aux ordres de se rendre et de lever les mains, même après avoir été prévenu qu'un chien de la police serait lâché. »
L'après-midi, lors d'une conférence de presse, le chef de la police de Boston, William B. Evans, a déclaré que, sur la vidéo de la fusillade de mardi filmée par la police, on pouvait voir que Rahim s'est dirigé à plusieurs reprises de façon agressive vers les officiers en brandissant un couteau, même alors que ces derniers reculaient et lui ordonnaient de lâcher son arme. Selon Evans, Rahim, âgé de 26 ans, a été touché au torse et à l'abdomen.
Rahim était surveillé depuis deux ans, a dit Evans. Mais les voix sceptiques ne croiront rien de tout cela et la carrière d'Evans se terminera dès le moment où il sera prouvé qu'il a menti devant les médias du pays au sujet de l'altercation.
Cette hypothèse n'est pas plausible.
Même après la conférence de presse, Walid affirmait que la version de la police « n'a pas de sens » car la police ne s'est pas rendue chez Rahim avec un mandat d'arrêt.
L'EIIL a attiré des milliers de combattants étrangers, notamment un membre éminent qui a été éduqué à Boston. Le matin même où Rahim a été abattu, il a été rapporté qu'Ahmad Abousamra avait été tué en Irak. Après avoir terminé ses études secondaires dans les faubourgs de Boston, il a été diplômé de l'Université du Massachusetts à Boston. En 2013, il a été placé sur la liste du FBI des terroristes les plus recherchés pour son rôle présumé d'expert éminent en réseaux sociaux de l'EIIL.
Toutefois, dans le flou qui a directement suivi la fusillade, il était impossible d'établir un lien avec l'EIIL de sorte que la mort de Rahim est apparue comme « le meurtre d'un homme noir musulman. »
Or, l'altercation aurait pu être évitée si seulement Rahim l'avait voulu. Il aurait pu déposer son couteau et se rendre, comme Evans l'a indiqué mardi après-midi. Jusqu'à ce que la police publie la vidéo mentionnée par Evans, personne ne connaissait les faits avec certitude.
Mais si les affirmations du chef de police s'avèrent exactes, la réaction immédiate à la mort de Rahim ne peut être vue que comme scandaleusement irresponsable et cynique. On a colporté une histoire basée sur du vent et des ragots mais une histoire que les gens retiendront et croiront, quelles que soient les preuves qui puissent être apportées par la suite.
Le CAIR semble avoir pris conscience de son erreur car le post de Sarsour a été retiré mardi après-midi de la page Facebook de l'organisation. On peut toutefois encore le consulter ici.
Après les attentats terroristes – manqués ou réussis – les groupes islamistes sont prompts à demander à l'opinion publique de ne pas poser de jugement trop hâtif, notamment au sujet de l'identité et des motivations des auteurs. Ils feraient bien de prendre en compte leurs propres recommandations quand c'est la situation inverse qui se produit.