Si on demande aujourd'hui à un responsable de la défense en Israël de faire une prévision à court terme en matière de sécurité, il y a de grandes chances qu'il réponde avec optimisme qu'on peut s'attendre à une période relativement calme et stable.
Par contre les prévisions à plus long terme, sur les quatre ou cinq prochaines années, sont moins radieuses et laissent présager l'arrivée de nuages de tempêtes poussés par les vents violents de l'islamisme radical.
C'est pourquoi les responsables de la défense sont enclins à mettre les prochaines années à profit, tant que « le soleil brille », pour perfectionner la préparation de l'armée israélienne, renforcer ses capacités en matière de renseignement et de puissance de feu et améliorer la protection civile.
Les déclarations tenues récemment par certains responsables de la sécurité laissent entrevoir le contenu de cette stratégie à long terme.
S'exprimant cette semaine à la Conférence Herzliya 2015, organisée autour du thème de la force de dissuasion d'Israël, le général-major à la retraite Amos Gilad a donné un message ambigu : « Notre situation sur le plan de la sécurité n'a plus été aussi bonne depuis longtemps. Sur le front nord, nous jouissons d'une bonne force de dissuasion. » Malgré l'arsenal impressionnant de roquettes et de missiles que le Hezbollah pointe vers Israël, l'organisation terroriste libanaise demeure neutralisée par la force de dissuasion israélienne.
Cette force se fonde d'une part, sur la puissance de feu du pays et ses capacités offensives terrestres et d'autre part, sur le fait que le Hezbollah s'est profondément embourbé dans la guerre civile en Syrie où il a perdu, selon les estimations, 700 combattants dans sa tentative de sauver son allié qu'est le régime d'Assad.
Suivant les directives de l'Iran, le Hezbollah a envoyé environ 7000 de ses 30.000 membres armés dans la Syrie voisine où ces derniers mènent des combats quotidiens contre le Front al-Nosra, l'État islamique et d'autres organisations terroristes sunnites. De telle manière que le Hezbollah n'a jamais été aussi peu enclin à ouvrir un nouveau front contre Israël.
L'Iran aussi est actif dans la région. Organisant la défense du régime affaibli d'Assad pour tenter de sauver la Syrie, le régime iranien y a envoyé des conseillers militaires de haut vol et y injecte, à flux constant, des milices chiites en provenance d'autres pays ainsi que de l'argent et des armes.
Cependant l'Iran a déjà perdu la bataille pour la Syrie. Les alaouites, soutenus par l'Iran et le Hezbollah, détiennent le pouvoir en Syrie en la personne du dictateur Bachar al-Assad mais ne représentent que 10% de la population du pays alors que 80% des Syriens sont sunnites.
Désormais l'axe dirigé par l'Iran lutte essentiellement pour mettre sur pied un mini-État composé des districts entourant Damas et d'un corridor reliant la capitale syrienne à l'ouest du pays c'est-à-dire la zone de Lattaquié où se concentre la communauté alaouite favorable au régime.
« Je voudrais annoncer la mort de la Syrie », a déclaré Gilad qui est à présent directeur du bureau des affaires politiques, militaires et de police du ministère israélien de la Défense. « Assad perçoit toujours son salaire de président, mais il ne gouverne qu'un tiers de la Syrie. Le sud du pays est aux mains d'Al-Qaïda et le nord est contrôlé par l'EIIL. Ce pays est réduit à néant et n'a plus aucun avenir. Assad va continuer à s'affaiblir. »
À mesure que le vide grandit en Syrie, les forces de l'islam radical – à la fois sunnites et chiites – se pressent pour le combler. L'État islamique y est en expansion mais, cette fois, il ne se rapproche pas des frontières avec Israël. Le Hezbollah et l'Iran ont déjà essayé de créer une base pour le terrorisme dans le Golan, non loin de la frontière israélienne, mais une frappe aérienne organisée en janvier dernier a étouffé ce projet dans l'œuf.
Dans le même temps, plus au sud, les ennemis d'Israël sont également inquiets. Dans la Bande de Gaza, le Hamas est en train de réhabiliter sa branche armée en reconstituant son stock de roquettes de production locale et en creusant de nouveaux tunnels.
Le Hamas essaye de se débarrasser de toute pression et d'adoucir son isolement. Après la guerre de l'année dernière avec Israël, il est tout à fait prêt à mettre en marche le programme de reconstruction des bâtiments civils.
Dans le contexte actuel, un nouveau conflit ne semble pas servir les intérêts du Hamas car il perturberait la reconstruction de son armée et mettrait en péril son pouvoir à Gaza.
En réalité, Israël cherche à favoriser la croissance économique de Gaza, un phénomène qui pourrait par la suite réfréner le Hamas.
Dans le même temps, les menaces non conventionnelles contre Israël sont en diminution. La Syrie a abandonné son programme d'armement chimique et le programme nucléaire iranien est temporairement gelé, même si Téhéran pourrait être tenté de reprendre secrètement sa production d'armes nucléaires.
Dans son allocution, Gilad disait : « Le calme est assez étonnant en comparaison avec toutes les zones de turbulences qui nous entourent. »
Mais combien de temps cela va-t-il durer ?
Le général-major de réserve Yaakov Amidror, ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, a tenté de répondre à cette question dans un article important qu'il a publié au Centre d'études stratégiques Begin-Sadate de l'université Bar Ilan.
Amidror observe que les forces en provenance du « monde obscur et agité du Moyen-Orient » sont en train de se consolider aux frontières d'Israël et de remplacer les acteurs étatiques.
Ces forces comprennent les salafistes djihadistes dans la Péninsule du Sinaï et les forces naissantes de l'État islamique dans cette province désertique de l'Égypte ; la branche armée des Frères Musulmans, le Hamas et son allié le Djihad islamique à Gaza ainsi que le Hezbollah au Liban. Ce dernier est par ailleurs « l'organisation terroriste la plus puissante au monde qui dispose d'une force militaire avancée, plus de 100.000 missiles et roquettes, des missiles surface-mer, des missiles surface-air ainsi que des dizaines de milliers de combattants armés et bien entraînés dont certains se sont aguerris au combat en Syrie. »
Selon Amidror, la Syrie est divisée et gouvernée en partie par des groupes sunnites extrémistes tandis que le régime d'Assad est maintenu en vie grâce à l'aide de l'Iran et du Hezbollah (en plus de l'aide discrète de la Russie).
Amidror a fait cette mise en garde : « Israël est entouré de pratiquement partout par des organisations terroristes dont les capacités offensives sont considérables. Ces capacités ne sont peut-être pas celles d'armées officielles (à l'exception du Hezbollah, en raison de sa puissance de feu) mais étant donné leurs caractéristiques, il est impératif que nous fassions abstraction de la routine pour nous préparer à les combattre à très court terme et sans avertissement préalable. »
Dans les années à venir, a ajouté Amidror, Israël devra faire face à des organisations islamiques armées radicales et non-étatiques qui se renforcent autour de lui.
Ce phénomène participe d'une dynamique plus large, à savoir l'essor de l'islam radical au Moyen-Orient. Il est presque certain que les futures confrontations impliquant de telles forces ne seront pas suivies de la paix, a-t-il prédit.
Israël doit être prêt à combattre des terroristes qui opèrent au sein même d'une population civile favorable ou indifférente à leur présence. Et c'est précisément cette présence de non-combattants qui rend le combat plus difficile et qui réduit la marge de manœuvre de l'armée israélienne.
Malgré les différences et les rivalités qui les opposent, tous ces groupes islamiques radicaux ont une caractéristique fondamentale en commun : ils croient tous que l'islam doit régir le monde, a dit Amidror.
Mardi, le ministre israélien de la Défense Moshe Ya'alon, recevant le président du comité des chefs d'états-majors des forces armées américaines, le Général Martin Dempsey, notait la présence de pas moins de « 30 organisations terroristes en Syrie auxquelles nous allons devoir être confrontés. Pour le moment, elles ne s'occupent pas de nous et nous ne sommes pas concernés par ce qui se passe là-bas. Mais il se peut que cela change. Dans ce cas, nous devrons les frapper avec force. »
C'est pourquoi les officiers supérieurs de l'armée israélienne disent à présent qu'il est temps de se concentrer sur un entraînement intensif et sur l'augmentation en puissance des forces aérienne, navale et terrestre ainsi que de la protection civile.
Il est temps désormais de perfectionner notre préparation car d'ici cinq ans, nombre de ces menaces pourraient, selon des responsables, peser sur Israël de façon très directe.
Les forces armées israéliennes, sous le commandement d'un chef d'état-major nommé récemment, le lieutenant-général Gadi Eisenkot, ont commencé à s'entraîner sérieusement.
La force aérienne s'entraîne à l'amélioration de ses capacités de sorte à pouvoir frapper toutes les cibles connues du Hezbollah – soit des milliers – en seulement quatre ou cinq jours. Les forces navale et terrestre doivent être en mesure de lancer instantanément des opérations à grande échelle. C'est l'armée dans son ensemble qui doit se préparer à des conflits aux fronts multiples en mettant l'accent sur le front nord – Liban et Syrie. Toutes les unités de l'armée israélienne doivent améliorer leur aptitude au combat dans des zones urbaines.
Les forces de réserve ont commencé à s'entraîner durant deux semaines de suite – le double des périodes d'entraînement antérieures. Dans l'année à venir, les unités de réserve seront exemptées de missions opérationnelles pour pouvoir se consacrer exclusivement à l'entraînement.
L'armée israélienne se constitue une flotte de véhicules performants de transport de troupes Namer et de tanks Merkava Mk 4 qui seront tous deux pourvus de systèmes de protection contre les missiles et les mortiers, ce qui leur permettra de se rendre en toute sécurité dans des zones contrôlées par le Hezbollah ou le Hamas et truffées de missiles portatifs.
Comme les cyberattaques deviennent une menace croissante, il se peut que l'armée israélienne lance dans les prochains mois une nouvelle division pour la cyberguerre.
Toutefois, la plus grande menace à long terme demeure l'Iran, selon Amos Gilad qui a déclaré lors de la conférence Herzliya : « L'Iran est semblable à un dieu grec à deux têtes. Alors que l'une d'elles dit qu'elle veut négocier [avec l'Occident], l'autre œuvre à l'édification d'un empire chiite. »
C'est pourquoi Israël doit se préparer aussi à l'éventualité d'une confrontation directe avec l'Iran.