Dylann Roof et Mohammad Youssef Abdulazeez ont un point en commun.
Leurs actes terroristes ont choqué le pays et créé un sentiment de tristesse, de douleur et de confusion intenses. Les deux jeunes hommes pensaient qu'ils étaient en droit de s'armer jusqu'aux dents pour tenter de massacrer le plus grand nombre possible de leurs concitoyens américains. Cela, pensaient-ils, ferait avancer leurs causes respectives.
Pour Roof, cette cause était la suprématie blanche. Dans une église, il a pris la vie de neuf innocents parce que ceux-ci étaient noirs.
Quant aux motivations d'Abdulazeez, le FBI déclare qu'il ne peut toujours pas les déterminer avec précision. Apparemment, les enquêteurs tentent d'en savoir plus sur le séjour de plusieurs mois effectué l'année dernière par Abdulazeez en Jordanie.
Des sources indiquent que les services de police n'ont trouvé aucun élément prouvant qu'il a agi de concert avec une autre personne. Cependant, son crime, à savoir le meurtre de quatre Marines américains jeudi à Chattanooga, est intervenu en plein Ramadan, le mois sacré des musulmans, une période que les terroristes de l'État islamique ont choisie pour appeler à commettre des attentats contre n'importe qui et n'importe où.
"Musulmans de toutes parts, nous vous félicitons à l'approche du mois sacré," a déclaré le mois dernier, Abu Muhammad al-Adnani, porte-parole de l'EIIL, dans un enregistrement. "En ce mois sacré, soyez prêts à vaincre et à vous exposer au martyre", ajoutait-ils.
Dans un message posté sur un blog trois jours seulement avant l'attentat, Abdulazeez écrivait au sujet des compagnons du prophète de l'islam, Mahomet : "Chacun d'eux a mené le Djihad au nom d'Allah. Tous ont dû faire des sacrifices durant leur vie."
En raison du fait qu'Abdulazeez a visé un centre de recrutement militaire et des installations d'entraînement, la question de toute évidence est de savoir s'il était inspiré par l'État islamique (EIIL) ou par d'autres groupes djihadistes. Le président américain a ordonné un renforcement de la sécurité des bâtiments de la Défense au cas où d'autres personnes planifieraient le même genre d'actes terroristes.
L'attentat terroriste commis par Roof le mois dernier contre une église épiscopalienne méthodiste de Charleston, a focalisé l'attention sur d'autres sources internes de menace violente comme les racistes, les "citoyens souverains" antigouvernementaux et d'autres. Un reportage du New York Times s'est penché sur le cas de chercheurs qui croient que cette menace a été sous-estimée alors que la menace radicale djihadiste "a subi une exagération".
À l'heure actuelle, cet argument semble plus difficile à soutenir.
Depuis le 1er mai, nous avons vu mourir deux hommes lourdement armés alors qu'ils s'apprêtaient à prendre d'assaut un bâtiment abritant un concours de caricatures de Mahomet. La police de Boston et le FBI ont abattu Usaama Rahim alors que ce dernier se dirigeait vers eux avec un couteau militaire. Quelque temps auparavant, les autorités avaient entendu Rahim confier à un associé qu'il allait "les poursuivre, ces gars en bleu". Rahim a aussi « aimé » l'EIIL sur sa page Facebook et a publié d'autres déclarations de ralliement à l'islam radical et au djihad.
Le directeur du FBI, James Comey affirme que des arrestations opérées dans plusieurs autres affaires ont probablement évité d'autres attentats lors du weekend de l'Independence Day [fête nationale américaine, le 4 juillet, NdT]. Et puis est arrivé Abdulazeez dont le bilan des victimes aurait pu être bien plus lourd sans la réaction rapide et efficace des services de police du Tennessee.
Exagération de la menace?
Le reportage du Times cite les chiffres de la New America Foundation indiquant que, depuis le 12 septembre 2001, "près de deux fois plus de personnes ont été tuées par des blancs suprématistes, des fanatiques antigouvernementaux et d'autres extrémistes non musulmans que par des musulmans radicaux."
On notera la date choisie très commodément pour faire démarrer le décompte. Quant aux données, elles peuvent être fonction de divers facteurs allant du simple coup de chance à l'efficacité de services de police qui déjouent des complots d'attentats avant que ceux-ci n'aient lieu.
Si Tamerlan et Dzhokhar Tsarnaev avaient eu un autre complice, si Faisal Shahzad dans son projet avorté d'attentat sur Time Square et le candidat kamikaze Umar Farouk Abdulmuttalab avaient été un peu plus subtiles, si les organisateurs de ce fameux concours de caricatures de Mahomet à Garland avaient lésiné sur les moyens en matière de sécurité, le nombre de morts aurait grimpé d'une façon telle que le bilan des victimes aurait basculé en faveur des islamistes.
Les chiens de garde du terrorisme raciste et antigouvernemental accepteraient-ils l'argument selon lequel ce type de menace terroriste est d'une certaine façon exagéré? Bien sûr que non. Ce jeu macabre de la menace la plus importante ne profite à personne. Les deux menaces sont réelles et doivent l'une comme l'autre être prises au sérieux par les services de police.
L'attentat commis par Abdulazeez ressemble aux autres frappes et tentatives de frappes terroristes islamistes menées aux États-Unis. En 2009, Nidal Hassan a assassiné 13 personnes, la plupart des compagnons d'armes, à Fort Hood après avoir reçu la bénédiction du religieux d'Al-Qaïda né en Amérique Anwar al-Awlaki. La même année, il est apparu que Carlos Bledsoe, converti à l'islam, s'était radicalisé au Yémen avant d'ouvrir le feu sur un bureau de recrutement de l'armée à Little Rock, tuant le soldat William Long et blessant le soldat Quinton Ezeagwula.
Deux ans plus tard, Naser Jason Abdo était arrêté en possession de matériel explosif et d'armes dans un motel au Texas, non loin de Fort Hood. Il planifiait de faire exploser une bombe devant un restaurant fréquenté par le personnel de la base et d'abattre ensuite le plus grand nombre possible de survivants.
Il avait été arrêté grâce à l'employé d'une armurerie qui avait alerté la police. Quand sa mère bouleversée lui avait demandé la raison de son geste, Abdo avait répondu : "La raison, c'est la religion, maman."
Il disait qu'en tant que musulman il devait faire quelque chose en réponse aux actions militaires américaines en Afghanistan et en Irak. "Quand quelque chose de mal se produit, il faut faire quelque chose contre ça."
Dzhokhar Tsarnaev a tenu des propos similaires pour justifier l'attentat à la bombe du marathon de Boston. Dans les quelques mots qu'il avait griffonnés alors qu'il fuyait la police, il disait : "Le gouvernement américain tue nos civils innocents... Je ne peux pas supporter de voir un tel mal impuni. Nous, les musulmans, formons un seul corps. Blesser l'un d'entre nous revient à nous blesser tous. C'est du moins ce qu'a voulu Muhammad (pbsl)."
L'EIIL a revendiqué la fusillade manquée de Garland, au Texas. Des sources indiquent que l'auteur, Elton Simpson, aurait eu des contacts avec des recruteurs ou des soutiens de l'EIIL avant de quitter son domicile en Arizona pour faire route avec Nadir Soofi vers le Texas, en rêvant de massacrer autant de gens que possible.
Bref, si le nombre d'Américains victimes d'islamistes djihadistes est inférieur à celui de fanatiques racistes et antigouvernementaux américains, ce n'est pas parce que la menace n'existe pas ou qu'elle est d'une certaine façon exagérée.
Dire que la menace islamiste est potentiellement plus grande ne diminue en rien l'horreur de l'attentat perpétré par Dylann Roof contre une église épiscopalienne méthodiste. Dire cela ne doit pas non plus être perçu comme un argument incitant les forces de police à ignorer les menaces que présentent les suprématistes blancs, les partisans du "citoyen souverain" qui se croient en dehors du système légal ou d'autres idéologies antigouvernementales violentes.
Roof détestait les noirs, croyant que ces derniers "ont violé nos femmes et... sont en train de s'emparer du pays."
Mais jusqu'à présent, les services de police n'ont identifié aucun mouvement organisé qui lui aurait donné l'ordre de tuer. Il semble n'avoir eu aucun contact avec des leaders racistes qui auraient tenté de l'aider activement à perpétrer le massacre.
Pour les musulmans sensibles à ce type de discours, ces messages sont omniprésents, depuis Awlaki et Al-Qaïda jusqu'à l'EIIL qui les actualise quotidiennement. Pourtant, malgré tous les efforts déployés par les forces de l'ordre, des sources indiquent qu'avant de déclencher la fusillade de jeudi, Abdulazeez était inconnu du FBI.
Exagération de la menace? Celle-ci était pourtant bien réelle pour le sergent artilleur Thomas J. Sullivan, le sergent major David A. Wyatt, les sergents Carson Holmquist et Skip Wells, sans parler de leurs familles et de leurs amis éplorés.
De grâce, que les défenseurs de cette cause nous disent combien de morts américains il faudra avant que l'on puisse dire qu'il s'agit d'une menace réelle.