Vendredi, le Washington Post a publié une courte lettre – consultable ici – que j'ai adressée au rédacteur du journal concernant des propos mensongers et insidieux écrits récemment dans une recension d'ouvrage par David Cole, professeur de droit à l'Université de Georgetown.
Le quotidien limite ce genre de missive à 350 mots, ce qui est bien trop peu pour répondre de façon exhaustive aux inexactitudes dont Cole a fait preuve dans sa recension du livre de David K. Shipler, Freedom of Speech [liberté d'expression]. Dans l'un des chapitres de l'ouvrage, l'auteur s'évertue à minimiser l'importance d'un document clé qui décrit les ambitions à long terme des Frères musulmans en Amérique.
D'après ce document, à savoir le mémorandum de 1991, les Frères musulmans doivent s'engager dans "une sorte de grand djihad par l'élimination et la destruction de la civilisation occidentale de l'intérieur."
Dans sa recension, Cole m'accuse, moi et d'autres personnes, d'utiliser des documents comme celui-ci pour faire « un business consistant à lancer des avertissements passionnés dignes de McCarthy à propos de complots islamistes visant à s'emparer des États-Unis ». Cole minimise aussi le mémorandum qui ne serait "rien de plus qu'un document de réflexion ébauché par un simple particulier [Mohamed Akram] au début des années 1990."
Toutefois, cette position fait peu de cas de l'importance d'un élément qui montre que l'auteur du mémo a joué un rôle éminent dans les structures du pouvoir des Frères musulmans en Amérique du Nord. Elle ignore aussi les ambitions globales de la confrérie que ses grands idéologues Hassan al-Banna et Sayyid Qutb ont pourtant clairement définies.
Ces deux derniers envisageaient un processus à long terme en vue de répandre l'islam jusqu'à ce que celui-ci contrôle l'ensemble de la société.
"Il est dans la nature de l'islam de dominer et de ne pas être dominé, d'imposer sa loi sur toutes les nations et d'étendre son pouvoir sur la planète entière", déclarait Al-Banna.
Qutb croyait que l'islam libérerait l'humanité de la servitude : "l'islam... est la religion de Dieu et est destinée au monde entier."
Ces paroles, qui demeurent la base de la doctrine qui guide les Frères musulmans, prennent une importance d'autant plus capitale quand on examine les activités des dirigeants fréristes aux États-Unis, notamment le « mémorandum explicatif "que Shipler et Cole veulent discréditer. Le mémo en question indique qu'en sabotant l'Occident de l'intérieur, les croyants musulmans seront en mesure de l'éliminer « et de faire triompher la religion de Dieu sur toute autre religion."
Si le mémo de 1991 était aussi insignifiant que le prétendent Cole et Shipler, il aurait probablement été mis au rebut depuis longtemps. Or ce n'est pas le cas. Les agents du FBI l'ont découvert en 2004 alors qu'ils perquisitionnaient le domicile de l'archiviste des Frères musulmans en Amérique, Ismael Elbarasse.
D'autres documents internes admis comme éléments de preuve en justice fournissent de plus amples détails sur les projets fréristes aux États-Unis qui sont en adéquation avec la vision développée par Mohamed Akram:
Ce même rapport de 1991 parle de la "substance du projet à long terme" ; il résume l'histoire de l'expansion des Frères musulmans aux États-Unis dont il nomme des sections : la Muslim Students Association (MSA, association des étudiants musulmans), l'Islamic Society of North America (ISNA, Société islamique d'Amérique du Nord) et l'Islamic Association for Palestine (IAP).
Le rapport du Palestine Committee (Comité pour la Palestine) datant de 1990 passe en revue les dernières activités dont les rassemblements, les manifestations ainsi que les publications, les périodiques et les livres. Le rapport conclut en appelant à un appui renforcé étant donné que le Comité "représente son bras armé, celui qui s'est spécialisé dans la défense de la cause islamique en Palestine et dans le soutien au mouvement émergent qu'est le Hamas."
Le plan de mise en œuvre de 1991-1992 détaille les objectifs d'une opération à grande échelle d'activités fréristes couvrant à la fois la politique, les médias et l'éducation sans oublier les activités de type familial, la constitution d'alliances ou encore la Da'wa c'est-à-dire "la diffusion du message de l'islam auprès des non-musulmans". Le Palestine Committee avait notamment pour mission de faire de 10 "frères des symboles politiques et médiatiques de la société américaine."
Certes, ils n'utilisent pas le langage d'Akram qui parle d'un "grand djihad pour l'élimination et la destruction de la civilisation occidentale", mais la réussite de tels projets rendrait ce pays fondamentalement différent sur le plan politique.
Quant à Akram, l'auteur du mémo, il ne s'agit pas d'une personne dérangée et marginale dont le nom apparaitrait par hasard sur les listes des Frères musulmans aux États-Unis. Des documents internes admis comme éléments de preuve lors du procès de la Holy Land Foundation (HLF, Fondation pour la Terre sainte) et de cinq anciens responsables – le procès pour financement du terrorisme le plus important de l'histoire des États-Unis – placent Akram dans le "comité central" de la confrérie. Il figure juste en dessous de Mousa Abu Marzook – qui a surtout été le président de la commission en charge des activités communes aux Frères et au Hamas aux États-Unis. À l'heure actuelle, Marzook est un haut responsable politique du Hamas.
Akram est également identifié comme secrétaire du comité central. En réalité, le document comprend la mention "Fait le 6 avril 1991 par M.A." [Mohamed Akram] dans la traduction du FBI.
Akram figure également juste en dessous de Marzook sur une liste interne de numéros de téléphone de l'organisation frériste Palestine Committee aux États-Unis. Son nom apparaît également dans un répertoire téléphonique de 1992, trouvé au domicile d'Ismael Elbarasse et que le procureur décrit comme l'annuaire de la confrérie.
En 1990, Akram a présenté un rapport sur des projets relatifs aux médias devant le Majlis Choura constitué principalement des membres du comité de direction des Frères musulmans en Amérique.
Les registres de sociétés de l'Illinois montrent qu'Akram était un directeur fondateur d'une autre section du Palestine Committee, à savoir la United Association for Studies and Research créée par Marzook.
David Cole est un professeur de droit respecté qui s'y connaît en matière d'affaires en instance. Il sait que ces documents existent mais n'a pas trouvé nécessaire d'en informer les lecteurs du Washington Post.
Si vous ne me croyez pas quand je parle de l'importance de ces documents internes des Frères musulmans, écoutez au moins l'ancien procureur fédéral Nathan Garrett qui, dans mon documentaire de 2012 intitulé "The Grand Deception" [La grande imposture], déclare que ces documents "révolutionnent complètement ce que nous savons des Frères musulmans aux États-Unis."
D'autres listes internes prouvent que les sections américaines du Palestine Committee comprenaient la HLF, l'Islamic Association for Palestine et par la suite, le Council on American-Islamic Relations (CAIR, Conseil pour les relations islamo-américaines).
Les pièces évoquées établissent l'existence de ce réseau créé par les Frères musulmans, principalement parce que ses participants ont produit cette documentation. Pourtant, dans sa recension publiée dans le Washington Post, Cole qualifie ces notes internes de "prétendues preuves d'un grand complot islamique tout aussi hypothétique." Pire, selon Cole, le fait que j'insiste, avec d'autres, sur l'importance de ces documents constitue "une menace réelle contre les libertés notamment politiques car cela entache de suspicion des organisations civiques musulmanes engagées dans la promotion des libertés civiles, de la liberté religieuse et de l'identité musulmane et non du terrorisme."
Le plus gros de nos articles concernant ces listes s'est concentré sur le CAIR. Ses fondateurs étaient des membres du Palestine Committee, cités comme tels dans des documents et des enregistrements secrets du FBI et le CAIR était en 1994, l'année même de sa fondation, répertorié parmi les sections du Palestine Committee.
En 2008, le FBI a passé en revue les mêmes répertoires et a coupé les ponts avec le CAIR en écrivant que "jusqu'à ce que nous parvenions à savoir s'il subsiste un contact entre le CAIR ou ses dirigeants et le Hamas, le FBI ne considère plus le CAIR comme un interlocuteur convenable." Cette mesure est toujours d'application.
Cela ne veut pas dire que tout ce qui est préconisé dans le mémo d'Akram a été complètement ou partiellement réalisé. Toutefois, prétendre que les Frères musulmans ne nourrissent pas de grandes ambitions pour changer fondamentalement les États-Unis ou n'ont rien fait pour jeter les bases d'un tel changement, c'est ignorer les manigances en temps réel attestées par les participants et préparées pour les années à venir.
Cole met un point d'honneur à dire qu'il n'a pas l'intention de nous faire taire, moi et d'autres « théoriciens du complot » qu'il vilipende comme de nouveaux McCarthy prêts à stigmatiser des musulmans innocents. Au lieu de cela, il tient des propos injurieux et présente un récit lacunaire de faits avérés, affirmant que cette stratégie constitue un pas important vers "une véritable liberté d'expression".
Steven Emerson est le directeur exécutif de l'Investigative Project on Terrorism (IPT) (www.investigativeproject.org). Auteur de six ouvrages sur le terrorisme et la sécurité nationale américaine, il a également produit le documentaire primé en 2013 et intitulé "Jihad in America : the Grand Deception" [Djihad en Amérique : la grande imposture] (www.granddeception.com).