Ils achètent et vendent des femmes qu'ils utilisent comme esclaves. Ils enlèvent des enfants, même des nourrissons, et les font exploser comme des bombes. À mesure qu'il renforce son emprise sur la Syrie et l'Irak, l'État islamique commet des atrocités dont l'horreur dépasse tout ce qu'on aurait pu imaginer. Et ce qu'il reste de la chrétienté au Moyen-Orient est en train de mourir par la torture, les déplacements et le massacre de populations entières.
À présent, l'ancien membre du Congrès américain, Frank Wolf (républicain de Virginie), appelle le gouvernement américain et les Nations unies à déclarer que cette catastrophe est un génocide : « On peut voir clairement l'intention génocidaire dans l'idéologie et l'action de l'État islamique qui visent la création d'un califat mondial purgé de tout homme, femme ou enfant jugé 'incroyant', soit par la conversion forcée soit par la mort ».
Aujourd'hui chercheur associé émérite à la 21st Century Wilberforce Initiative, un mouvement chrétien militant pour les droits de l'homme, Wolf a écrit la semaine dernière une lettre au président Obama. « C'est en Irak que le phénomène s'est manifesté le plus clairement par les actes de révolte contre les chrétiens et les yazidis qui ont été tués, torturés, kidnappés, violés, vendus comme esclaves et expulsés de force de leur terre natale. »
Les récits provenant de Syrie et d'Irak sur la détresse subie par les minorités religieuses sont en effet plus que déchirants. On serait presque tenté de ne pas y croire tant ils sont horribles. À titre d'exemple, la couverture du New York Times Magazine dominical décrit la situation d'une fillette de 3 ans enlevée à sa mère ainsi que la séparation des captifs entre ceux qui sont « sains » et les « infirmes », un acte sinistre qui rappelle l'Holocauste. Bien souvent, il existe un troisième groupe composé de femmes prêtes à être vendues comme esclaves sexuelles.
D'autres récits sont tout aussi épouvantables. Wolf écrit que les enfants nés de ces femmes captives violées à plusieurs reprises par les soldats de l'EI, sont élevés « dans la droite ligne de l'interprétation révolutionnaire du 'pur' islam ».
Wolf ajoute : « L'EI a kidnappé et déplacé de force des enfants chrétiens et yazidis, dont des nourrissons âgés d'à peine sept mois. Des sources indiquent que ces enfants subissent des intimidations et des lavages de cerveau dans le but de former la prochaine génération de rebelles radicaux. » C'est pourquoi « il est impératif de porter immédiatement cette question devant le Conseil de sécurité de l'ONU et de prononcer une déclaration de génocide. »
La supplication de Wolf repose sur des recherches solides dont un rapport basé sur des interviews réalisées par la 21st Century Wilberforce auprès de 75 personnes de la région. Les rapports citent un dirigeant chrétien : « C'est la fin non seulement du christianisme mais aussi de notre peuple qui vit ici depuis des milliers d'années. » Un prêtre qui vit à présent à Beyrouth a confié au Times : « Nous craignons la disparition totale de notre société. »
Le sort de la communauté yazidie – ou ce qu'il en reste – est particulièrement inquiétant, elle qui a été pratiquement exterminée en 2014. Des dizaines de milliers de yazidis ont été chassés de leurs foyers par des militants de l'État islamique et acculés vers le Mont Sindjar où des centaines d'hommes ont été tués et autant de femmes brutalisées et violées de façon systématique. Selon le rapport de la Wilberforce, « environ 700 filles ont été détenues, dont une de sept mois qui avait été enlevée à sa famille pour être élevée par l'EI. Les filles étaient séparées selon la couleur de leurs yeux et les membres de l'EI étaient autorisés à choisir les jeunes femmes qui leur plaisaient. »
En réalité, la persécution des chrétiens et d'autres groupes minoritaires par l'État islamique a déjà été qualifiée de « génocide » par nombre d'organisations de défense des droits de l'homme. Dans un rapport du mois de mars, l'ONU a déclaré que l'EI « pourrait avoir commis » un génocide. En février dernier, le président Obama a lui aussi parlé d'un génocide dans un projet de loi requérant l'usage de la force contre l'EI.
Cependant, ni l'administration Obama, ni l'ONU n'est parvenue à émettre une accusation officielle de génocide aux termes de la Convention des Nations unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Une telle déclaration permettrait d'envisager l'usage de la force militaire (moyennant l'approbation du Conseil de sécurité), selon Antonia Chayes, professeur de droit et de politique internationale à la Fletcher School.
« Le soutien actuel aux bombardements américains en Syrie se fonde sur le principe d'autodéfense collective invoqué par l'Irak », m'a confié Chayes. « Mais la déclaration de génocide qui viendrait s'ajouter à cela donnerait plus de poids aux arguments favorables à la force militaire présentés au Conseil de sécurité de l'ONU. »
Pour l'instant, Wolf a proposé un plan en six points comprenant la création d'une zone refuge pour les minorités religieuses dans la plaine de Ninive ; le soutien au projet du gouvernement régional du Kurdistan de créer un contexte favorable au dialogue, à la liberté religieuse, à la protection des droits de l'homme et à l'intégration de toutes les minorités ; l'aide à l'éducation pour les populations chrétiennes et yazidies déplacées ainsi que des recherches et des poursuites à l'encontre de l'État islamique pour crimes contre l'humanité et génocide. »
Voilà des objectifs tout à fait louables qui méritent d'être défendus valeureusement. Et Wolf a raison de penser que dans cette affaire, les États-Unis peuvent et doivent jouer un rôle moteur.
Reste à savoir si cela va changer quelque chose ?
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.