Selon un expert américain en sécurité, les autorités devraient s'inquiéter de cette main invisible des Frères musulmans qui est en train de s'emparer des sections de diverses associations musulmanes du Canada.
Le mouvement a introduit sa vision traditionaliste de l'islam, son idéologie politique et son activisme parmi les musulmans du pays. Il se considère comme un gardien et un intermédiaire entre les musulmans et le reste de la société. C'est ce qu'a rapporté dernièrement Lorenzo Vidino, qui se spécialise dans l'étude l'islamisme et de la violence politique, devant la commission du Sénat américain pour la sécurité nationale.
Vidino a déclaré : « Fondamentalement, ils cherchent à devenir les gardiens des communautés musulmanes et leurs interlocuteurs face aux hommes politiques, aux autorités gouvernementales ou aux médias qui chercheraient à entendre la voix des musulmans – pour autant que cela arrive. Ils deviendraient en quelque sorte les dirigeants autoproclamés des communautés musulmanes. »
Ihsaan Gardee, directeur exécutif du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), souligne que son organisme n'a aucun lien avec les Frères musulmans. Photo : Sean Kilpatrick / The Canadian Press |
À la tête d'un programme sur le terrorisme dirigé à l'Université George Washington, Vidino est l'auteur de The New Muslim Brotherhood in the West [Les nouveaux Frères musulmans en Occident] (Columbia University Press, 2010). Il ne voit parmi les partisans occidentaux du mouvement aucun lien direct avec le terrorisme. Il s'agit en fait d'un ouvrage de prévention à la radicalisation violente, a-t-il indiqué.
« Ce serait une erreur d'analyse de tous les assimiler, comme le font certains, à Al-Qaïda ou à l'EI. Ces organismes ne planifient pas d'attentats en Occident. Ils les condamnent d'ailleurs bien souvent. »
Selon Vidino, le problème est plutôt indirect : « D'une façon générale, le mouvement n'a pas abandonné la violence comme outil de promotion de son programme. » Sur le plan tactique, il ne recourt pas à la violence « mais il n'est pas sincère », précise Vidino.
« Les Frères tiennent un discours violent lorsqu'ils mettent dans le même sac des questions de politique étrangère avec des problèmes comme les caricatures et autres, le tout selon une rhétorique cherchant à prouver que l'Occident déteste les musulmans et l'islam. C'est bien davantage la banalisation de ce discours qui produit l'escalade de la violence radicale et c'est à cela que les Frères s'emploient pour créer une sorte de terreau fertile.
Dans l'esprit de jeunes de 16 ou 18 ans, ce type de discours est extrêmement dangereux car quand les musulmans sont agressés, la violence est justifiée. Si c'est valable pour Gaza et l'Afghanistan, pourquoi pas alors pour l'Occident où là aussi on nous dit que l'islam est agressé ? »
L'organisation des Frères musulmans est interdite dans plusieurs pays, notamment au Moyen-Orient et particulièrement en Égypte où le mouvement est né. Mais en Occident, son profil est différent.
Pour commencer, il n'existe en Amérique du Nord aucun groupe se faisant appeler « Frères musulmans ». Au lieu de cela, quelques centaines de partisans policés, politiquement habiles et bien financés ont créé ces 50 dernières années au Canada des organisations qui représentent une infime partie de la communauté musulmane mais qui, parce qu'elles se font voir et entendre, exercent une influence disproportionnée sur les mosquées, les écoles et les lieux où se rassemblent les musulmans, selon Vidino.
Alors qu'elles ne prennent leurs ordres d'aucune capitale arabe, elles « font partie d'un réseau officieux dont les liens étroits se fondent sur des rapports personnels et financiers et sur ce qui, en fin de compte, importe le plus : l'idéologie. Car ils partagent tous une certaine vision du monde. »
Il arrive que des organisations s'efforcent de rompre ou de cacher certains liens, déclarait Vidino devant la commission, citant comme exemples l'Association musulmane du Canada et ce qu'on avait coutume d'appeler le CAIR-Canada, devenu à présent le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC).
Il a également cité l'International Relief Fund for the Afflicted and Needy (IRFAN-Canada, Fonds d'aide internationale pour les affligés et les nécessiteux), dont le statut d'association caritative lui a été retiré dès le moment où le gouvernement a soupçonné cette organisation d'avoir envoyé entre 2005 et 2009 près de 15 millions de dollars à des organismes liés au groupe terroriste palestinien Hamas. Depuis lors, l'IRFAN est interdit au Canada où il figure sur la liste des organisations terroristes.
Ihsaan Gardee, directeur exécutif du CNMC, a déclaré que Vidino était mal informé et a indiqué que « le CNMC est une organisation canadienne de défense des libertés civiles, indépendante, non-partisane et sans but lucratif qui a à son actif 15 années d'existence publique. Le CNMC n'est pas un groupe religieux. Il n'a pas et n'a jamais eu aucun rapport ou lien de type idéologique ou autre avec les Frères musulmans ou tout autre organisation étrangère. »
L'Association musulmane du Canada n'a pas souhaité donner de commentaires. Toutefois, son site internet fait remonter ses racines aux enseignements de l'Égyptien Hassan al-Banna qui a fondé les Frères musulmans en 1928 dans le but de raviver et d'intégrer l'enseignement et les pratiques de l'islam traditionnel, comme la charia, au sein de la société moderne.
Le dernier conseil donné par Vidino à la commission est le suivant : « Renseignez-vous car sachez qu'ils ont un programme. »