On s'en souvient tous. C'était il n'y a pas si longtemps. Il y a en effet à peine huit mois, des extrémistes musulmans faisaient irruption dans les bureaux parisiens de Charlie Hebdo et tuaient 12 des rédacteurs et dessinateurs du journal satirique. On se souvient tous également très bien des jours et des heures qui ont suivi, quand le monde a déclaré soutenir la liberté d'expression par des hashtags, des marches, des slogans sur les t-shirts et dans les journaux qui ont tous repris les mots désormais passés à la postérité : « Je suis Charlie ». Le monde croyait alors que les choses allaient changer.
Mais, apparemment, ce n'est pas le cas.
Au début de ce mois, l'acteur Abbie Chalgoun – un musulman se définissant lui-même comme « non pratiquant » – s'est fait encercler à la gare de Venlo par un groupe de jeunes néerlandais musulmans qui lui ont crié : « Fils de pute ! Attends un peu. On sait où tu vis. Et on sait où te trouver. »
La faute de Chalgoun ? Il joue le rôle de Jésus dans un spectacle intitulé « La Passion » et qui recueille des éloges dans tout le pays. Chalgoun a expliqué dans un entretien accordé au quotidien national Trouw que, pour les musulmans, la représentation, sur scène ou en image, d'un prophète – y compris Jésus – est interdite.
C'est alors qu'on se dit : ça y est, c'est reparti. Pour les musulmans radicaux, le concept d'arts devient inexistant et donc impossible. Les lois civiles européennes sont pour eux dénuées de toute valeur et n'ont aucune force contraignante. Il est vrai que, contrairement aux frères Kouachi qui ont manigancé les attentats contre Charlie Hebdo, ces jeunes n'ont pas (encore) commis de crime en l'espèce et ne s'en sont pas (encore) pris physiquement à l'acteur de 35 ans. Mais ils illustrent parfaitement la menace subtile et bien plus insidieuse qui s'empare actuellement de l'Europe, à savoir celle d'une génération de musulmans qui placent trop souvent la loi d'Allah au-dessus de celle de l'État et qui ont l'intention de recourir à la violence et à l'intimidation pour que le reste de la civilisation occidentale en fasse de même. Et pour y arriver, ils sont parfois prêts à tuer, comme on a pu le voir au Danemark en février, lors d'une conférence sur la liberté d'expression, ou au Texas en mai, lors d'un concours de caricatures de Mahomet.
Cependant, il arrive parfois que la seule menace suffise.
Chalgoun pense que ceux qui s'opposent à ce qu'il joue le rôle de Jésus ne représentent « pas plus d'un demi pourcent [des Néerlandais musulmans] mais ce sont ceux-là qui ont la plus grande gueule. »
Ils suivent également une tradition bien ancrée parmi les musulmans européens, surtout aux Pays-Bas où le Néerlando-marocain Mohammed Bouyeri a poignardé et abattu l'écrivain et cinéaste Théo van Gogh en 2004 avant de lui planter dans le corps à l'aide d'un couteau une longue lettre reprenant la liste des personnes auxquelles il s'attaquerait ensuite. Depuis lors, les cas de ce genre se sont multipliés, qu'il s'agisse de l'artiste Rashid Ben Ali, menacé pour ses dessins de Mahomet et d'imams « idiots », de la photographe Sooreh Hera, qui a reçu des menaces de mort pour ses photos d'homosexuels qu'elle disait représenter Mahomet et son beau-fils Ali, du député ouvertement opposé à l'islam Geert Wilders dont le film « Fitna » décrit le caractère destructeur et les dangers de l'islam radical, ou encore du comédien Ewout Jansen qui a été la cible de menaces adressées à « ceux qui badinent avec l'islam ».
Jusqu'à présent, et c'est tout à son honneur, Chalgoun – comme les autres – n'a pas plié. « Jésus aussi a été menacé », a-t-il confié au journal Trouw. Il en va de même pour la militante Pamela Geller en dépit des projets nourris par le terroriste musulman de Boston Usaamah Rahim, tué en juin lors d'une altercation avec la police de Boston.
Mais bien trop souvent, c'est l'inverse qui se produit. À titre d'exemple, au début de ce mois, le National Youth Theatre de Londres a annulé la représentation d'une pièce sur la radicalisation de musulmans britanniques inspirée, selon ses créateurs musulmans, de l'histoire tristement réelle de deux lycéennes britanniques ayant rejoint l'État islamique au début de cette année.
Frustré, l'un des membres de la troupe a tweeté : «Je ne sais pas comment les choses pourraient changer un jour si nous avons trop peur de dire ce qui doit être dit.»
Les censeurs de la pièce – et ils ne sont pas les seuls – devraient plutôt prendre exemple sur Chalgoun qui, peu après l'incident, a confié à la radio NPO : « Nous ne pouvons pas laisser ce genre de situation nous empoisonner la vie. Nous allons continuer. »
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.