Treize ans, treize crimes d'honneur / Archive.Today qui sont tous survenus dans des familles musulmanes au Canada. Et pourtant, si vous deviez condamner ces meurtres, vous pourriez vous-même vous retrouver sous enquête et condamné.
Jacques Frémont de la Commission des droits de la personne du Québec a proposé un projet de loi «pour prévenir et combattre le discours haineux et le discours qui incite à la violence».
S'il est adopté, le projet de loi 59 permettrait à la Commission des droits de la personne du Québec ou à des citoyens ordinaires «d'initier une poursuite pour 'discours haineux' contre une personne qui émet des propos considérés haineux à l'égard d'un groupe», a déclaré Marc Lebuis de Point de Bascule, une organisation qui enquête sur les activités islamistes au Canada, lors d'une récente interview.
De plus, le projet de loi donnerait à la Commission le pouvoir d'enquêter sur des personnes qui ont émis des propos haineux, a déclaré la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. Ceux qui seraient condamnés pourraient devoir payer des amendes s'élevant à 20 000$ et leurs noms seraient ajoutés à une liste qui sera affichée sur internet indéfiniment.
La plupart des observateurs considèrent le projet de loi 59 comme une réponse aux pressions exercées par des groupes musulmans qui ont déposé plusieurs plaintes pour 'islamophobie' et discours haineux antimusulman ces dernières années. Le projet de loi est semblable à la résolution 16/18 des Nations Unies à plusieurs égards. Cette résolution, émanant des 56 états islamiques qui forment l'Organisation de la coopération islamique, limite le discours considéré 'discriminatoire' ou qui diffame la religion et peut être considéré comme une 'incitation à la violence'. Cependant, le projet de loi 59 est encore pire : il est fondé sur ce qu'une personne pourra éprouver personnellement, subjectivement et émotivement après avoir lu, entendu ou avoir été en contact avec des énoncés qui lui déplaisent.
Cette proposition contredit tout ce que nous, aux États-Unis aussi bien qu'au Canada, croyons concernant les droits civils et humains fondamentaux et l'inviolabilité de la liberté d'expression. Elle représente la plus grande menace à la démocratie et aux valeurs que l'Occident chérit.
Ironiquement, déclare Lebuis, les partisans du projet de loi le justifient en suggérant qu'il protégera la démocratie contre le terrorisme. Selon eux, «le terrorisme est une réaction [de musulmans] contre ceux qui critiquent leur religion», explique-t-il, «donc, en interdisant la critique de l'islam, on mettrait fin au terrorisme». Cet argument a été repris à la fois par le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et par des groupes musulmans tels l'Association des musulmans et des arabes pour la laïcité (AMAL). «La haine et l'islamophobie conduisent certaines personnes issues des groupes discriminés vers une autre forme d'extrémisme et de violence», a déclaré le président d'AMAL Haroun Bouazzi lors de sa récente présentation aux consultations publiques organisées sur le projet de loi à l'Assemblée nationale.
Cependant, comme l'a noté la Gazette de Montréal, le Code criminel fédéral prévoit déjà des peines (pouvant aller jusqu'à deux ans de prison) pour «quiconque incite à la haine contre n'importe quel groupe identifiable». Le projet de loi ne définit pas clairement la notion de 'discours haineux'. Comme l'avocat Julius Grey l'a fait remarquer lors de sa comparution aux consultations publiques sur le projet de loi, «Nietzsche, Shakespeare et Voltaire auraient tous pu avoir été trouvés coupables d'incitation à la violence et à la haine. Auraient-ils dû être censurés?»
De plus, puisqu'il n'y a pas de définition claire du 'discours haineux', ni de critères stricts pour le mesurer, le projet de loi laisse la porte toute grande ouverte aux poursuites. «C'est basé sur ce que les gens ressentent ou ce qu'ils pourraient ressentir», déclare Lebuis. «L'intérêt public, la véracité des faits allégués ou même les intentions des personnes accusées ne sont pas des moyens de défense.»
La situation est rendue pire en raison du fait que les condamnations seraient décidées par le Tribunal des droits de la personne qui n'est pas assujetti aux lois fédérales qui exigent que la culpabilité soit prouvée «au-delà du doute raisonnable». Comme le fait remarquer le chroniqueur Don MacPherson de la Gazette :
«Le Code criminel fédéral définit la 'propagande haineuse' comme étant l'encouragement ou la promotion du génocide, l'incitation à la haine contre un groupe identifiable [qui va] vraisemblablement menacer l'ordre public ou la promotion délibérée de la haine d'un tel groupe... Et l'accusé ne peut pas être condamné si ses déclarations sont jugées d'intérêt public dans le cadre de discussions utiles à éclairer le public et si, sur la base du doute raisonnable, il les croit véridiques» (comme ce serait le cas de quelqu'un qui condamne les crimes d'honneur, par exemple).
Mais le projet de loi 59 ne contient pas de telles réserves.
D'autres, incluant (étonnamment) Bouazzi d'AMAL, se sont objectés à la mise en place d'un registre qui contiendrait les noms des personnes reconnues coupables de 'discours haineux'. Cette initiative est non seulement diffamatoire mais elle pourrait devenir dangereuse si certains devaient y référer pour aller se venger. De plus, le 'discours haineux' n'étant pas défini dans le projet de loi, il pourrait être utilisé à des fins machiavéliques : supposons, par exemple, que vous fassiez une association entre les crimes d'honneur ou le terrorisme et des croyances culturelles ou religieuses, alors vous pourriez être poursuivi. Ce serait le cas même si les responsables des crimes que vous dénoncez devaient se réclamer de cette culture ou de cette religion. Ainsi, pendant qu'un terroriste serait envoyé en prison pour ses actions, c'est votre nom, pas le sien, qui serait inscrit sur une liste que la planète entière pourra consulter indéfiniment si vous deviez être trouvé coupable d'avoir violé les dispositions du projet de loi 59.
Les partis politiques pourraient avoir recours aux dispositions du projet de loi pour faire taire leurs opposants et même pour leur assigner un statut de criminel.
Chez les musulmans, les opinions sont partagées selon l'activiste canadien d'origine pakistanaise Tarek Fatah. «Ironiquement, certaines organisations et mosquées qui promeuvent les thèses islamistes ont salué le projet de loi 59, bien qu'elles le violent chaque vendredi lorsqu'elles récitent cette invocation rituelle qui demande à 'Allah de donner la victoire aux musulmans contre les kouffar (infidèles chrétiens, juifs et hindous)'», a-t-il écrit dans le Toronto Sun. [Tarek Fatah] fait partie de ceux qui promettent de «tout faire en notre pouvoir pour empêcher que le projet de loi 59 ne soit adopté au Québec. Cependant si ce projet de loi devait être adopté», ajoute-t-il, «la première plainte qui sera déposée à la CDPDJ le sera contre les mosquées islamistes qui répandent la haine des juifs et des chrétiens. C'est une promesse.»
Si l'on se fie à d'autres tentatives de faire adopter des projets de loi semblables dans le passé et à l'opposition au projet de loi 59 qui se manifeste dans des éditoriaux à travers le pays, il semble que les mesures aient peu de chances d'être adoptées. En 2005, des efforts pour légaliser les tribunaux islamiques [en matière familiale] avaient échoué. Ironiquement, ces tribunaux, décriés par les femmes musulmanes pour leur partialité dans les causes de mariages, de mariages forcés, de violence conjugale et d'héritage, étaient dénoncés par plusieurs comme étant 'islamophobes'. On est en droit de se demander comment la Commission des droits de la personne réagirait face au dilemme islamophobie c. misogynie. Et qu'arriverait-il si la personne accusée d'être 'islamophobe' devait intenter des poursuites contre ses dénonciateurs en faisant valoir que le terme est offensant?
Pierre Trudel, un avocat et un professeur de droit à l'Université de Montréal, croit également que le projet de loi a peu de chances d'être adopté dans sa forme actuelle. Il a ajouté dans une interview qu'il est «raisonnable de croire qu'il sera amendé afin de prendre en considération les objections de ses nombreux opposants». S'il devait être adopté dans sa forme actuelle, il aura «un sérieux effet inhibiteur sur le discours».
Il serait ironique qu'un projet de loi censé combattre les terroristes finisse par servir leurs objectifs. Comme l'a écrit Benjamin Franklin (sous le pseudonyme de Silence Dogood) : «Ceux qui veulent abolir la liberté d'une nation doivent commencer par restreindre la liberté du discours».