Il s'agit du procès le plus important aux Pays-Bas depuis l'assassinat de Theo Van Gogh en 2004, et l'un des plus importants en Europe depuis les attentats du 11-Septembre. Il implique dix extrémistes musulmans, tous accusés d'appartenir à une organisation terroriste et de recruter pour le djihad.
Mais voilà que ce procès risque de tomber à l'eau et de conduire à la libération de huit des accusés. Les deux autres sont tenus pour morts, « martyres » dans la zone de l'État islamique.
Dans ce dossier, les prévenus sont accusés d'avoir organisé des rencontres secrètes en préparation au djihad et au recrutement de combattants sur les réseaux sociaux et dans les lieux publics. Certains d'entre eux, dont Azzedine Choukoud, le chef présumé du réseau, et Rudolph Holierhoek sont également accusés d'avoir tenu des discours et publié des déclarations et des articles en ligne à la gloire de l'EIIL et de son djihad.
Depuis le début, le procès connaît des difficultés. Comme le disait un avocat de la défense, nombre d'éléments de preuve sont liés à des questions de liberté d'expression. L'éloge d'un groupe terroriste peut-il constituer un acte criminel ? Le fait d'exprimer le souhait de rejoindre l'EIIL est-il vraiment un crime ? De telles déclarations sont-elles protégées par les lois sur la liberté d'expression ? À quel endroit – et de quelle manière – le législateur doit-il poser une limite ?
D'autres accusent les enquêteurs de la police d'être à l'origine d'un traquenard, soutenant que ces enquêteurs auraient exagéré en créant un faux profil Facebook dans le but d'inciter les fans de l'EIIL à s'y connecter pour partager des documents pro-djihadistes.
Ce compte, créé avec l'accord de la Justice néerlandaise, était géré par un agent anonyme qui postait des vidéos et des textes en néerlandais et en arabe ainsi que des photos incendiaires, sous le pseudonyme d'Aboe Noewas. « Noewas » a fini par être invité à se faire « ami » de recruteurs de l'EIIL et d'autres membres du réseau, notamment Azzedine Choukoud (connu sous le nom d'Abou Moussa). Par l'intermédiaire de ces contacts, « Noewas » a obtenu l'accès à des conversations privées entre membres du groupe terroriste ainsi qu'à d'autres amis sur Facebook.
Toutefois, l'agent qui se cachait sous le pseudo de « Noewas » avait reçu la consigne de ne pas inviter de nouveaux amis mais seulement d'en accepter les invitations. Or, certains éléments indiquent qu'il aurait ignoré cette restriction et aurait lui-même directement sollicité de nouveaux contacts. Par ailleurs, les terroristes présumés semblent avoir partagé entre eux une photo et un texte accompagnant celle-ci postés à l'origine par « Noewas ». Si tout cela devait s'avérer, cette situation pourrait effectivement s'apparenter à un traquenard.
Ces accrocs ont contraint les autorités néerlandaises à examiner les conversations et les « partages » et à fournir la preuve que les commentaires et autres documents postés et partagés ne l'ont pas été sous le coup d'une provocation ou d'une contrainte. Cela devrait être assez facile puisqu'il suffit de se référer au compte en question.
Sauf que, une fois l'enquête terminée, le compte a été fermé et, conformément à la politique de Facebook, l'ensemble des activités de ce dernier a été effacé. Alors qu'elle a sauvé des copies de commentaires postés par les prévenus, la police a omis de faire la même chose avec les messages postés par « Noewas ».
Oups !
Ceci n'est pas une mince affaire. Les dix personnes – neuf hommes et une femme – impliquées dans ce procès constitueraient, selon le quotidien Algemeen Dagblad (AD), « le réseau djihadiste des Pays-Bas ». Elles se rencontreraient régulièrement dans les caves d'un immeuble à appartements pour élaborer des plans et écouter les conférences et discours d'autres radicaux et recruteurs. Plusieurs membres du groupe ont participé aux manifestations violemment antisémites et pro-EIIL dans le Schilderswijk, un quartier de La Haye, au cours de l'été mouvementé de 2014. D'autres ont combattu en Syrie où certains ont été tués et une poignée d'autres sont toujours engagés dans les combats. Au moins deux d'entre eux sont rentrés chez eux, forts d'un entraînement au djihad reçu là-bas.
Le procès ayant été reporté, les autorités ont décidé lundi de libérer l'un des suspects, Rudolph Holierhoek, converti à l'islam et fils d'un juge néerlandais. Le jeune homme, âgé de 26 ans et connu pour son savoir-faire dans le maniement d'internet, a passé ces douze derniers mois dans l'aile réservée aux terroristes de la prison de haute sécurité de Vught.
En décidant de le relâcher, la Justice a pris en considération, selon le Volkskrant, sa « situation personnelle » d'étudiant et de père. Toutefois, Holierhoek reste sous surveillance et ne peut pas quitter le pays. Il a également été privé de son passeport et d'utilisation des réseaux sociaux. Actif par le passé dans de nombreux événements pro-EIIL et pro-djihadistes, il lui est à présent interdit de participer à toute manifestation publique. Il sera tenu d'assister au procès quand celui-ci reprendra, vraisemblablement une fois que les preuves manquantes auront été retrouvées. Mais on peut se demander ce qu'aurait été la situation si ces preuves n'avaient pas été égarées dès le départ.
Il est intéressant de noter que, après le meurtre odieux du soldat britannique Lee Rigby perpétré en mai 2013 par Michael Adebolajo et Michael Adebowale, deux djihadistes actifs sur Facebook, les administrateurs du réseau social ont promis d'aider les gouvernements à identifier les personnes soupçonnées de terrorisme ayant utilisé le site soit pour communiquer soit pour diffuser de la propagande djihadiste. La raison pour laquelle ils n'ont jamais signalé aucun des membres de ce groupe de Néerlandais demeure obscure. Mais leur engagement pour empêcher des incidents comme le meurtre de Lee Rigby et d'autres attentats terroristes laisse penser qu'ils peuvent très bien avoir repéré – et conservé – les documents postés par « Noewas » qui, après tout, s'affichait lui-même comme un terroriste.
Dans un courriel, un porte-parole régional de Facebook a confirmé que « le contenu qui est retiré de Facebook est en effet entièrement retiré de Facebook » en l'espace de quelques semaines.
Demaris Beems a écrit que si les services de police ne font pas une demande d'accès dans ce délai, « alors il est tout simplement impossible de retrouver l'information ».
Si les autorités néerlandaises se révélaient incapables de récupérer les documents échangés sur Facebook par les suspects, les répercussions de cette affaire ne se limiteraient pas à la libération inquiétante des suspects. Les autorités ont en effet dévoilé un instrument clé dans la surveillance et la lutte contre les recrues de l'EIIL sans obtenir aucun résultat en contrepartie. Par conséquent, il est probable que de tels échanges se poursuivent clandestinement et que les enquêtes deviennent à l'avenir bien plus compliquées – et probablement pas seulement aux Pays-Bas.
Cette situation apporte à nouveau de l'eau au moulin de ceux qui plaident en faveur de la collecte et de la conservation des données – pratiques qui ont subi le feu des critiques internationales depuis la révélation du programme américain PRISM par Edward Snowden en 2013. Pourtant, à l'instar des caméras portées désormais par les agents de police américains dans le but de surveiller leurs activités – notamment dans les cas d'agressions contre des suspects noirs – de tels programmes de collectes de données peuvent également aider à protéger les victimes de brigades de lutte antiterroriste un peu trop zélées qui pourraient placer sur les suspects des éléments compromettants ou forcer ces suspects à dire ou à faire de choses qui pourraient les incriminer. Par ailleurs, ces mêmes programmes de collecte de données peuvent également fournir les informations et les preuves dont on a justement besoin pour faire condamner des terroristes embusqués dans nos rues et fomentant notre destruction dans les caves de nos habitations.
L'avenir nous dira si des informations ont été conservées par Facebook et, dans l'affirmative, ce que les responsables du réseau social ont décidé de partager avec les services du procureur néerlandais. Quoi qu'il en soit, cette affaire confirme l'importance de l'autorisation du stockage des données. Cela permettrait, ni plus ni moins, à tout un chacun de connaître la vérité et de gagner en sécurité.
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.