Lors d'un récent entretien avec un candidat à l'élection présidentielle américaine, Chuck Todd, présentateur de l'émission « Meet the Press » sur la chaîne NBC, a posé une question qui devrait non seulement être abordée par l'ensemble des candidats mais également faire l'objet de débats et d'analyses au sein de la population américaine.
Cette question est la suivante : la loi islamique (charia) est-elle compatible avec la Constitution américaine ?
La réponse à cette interrogation n'est pas simple. Toutefois, il existe dans l'actualité récente, trois cas où un changement de régime a contraint les dirigeants du pays à spécifier le rôle de la charia dans leur façon de gouverner, aucun d'eux ne parvenant à une conclusion définitive.
Les deux premiers ont fait suite à l'intervention – active dans un cas et passive dans l'autre – de l'administration Obama qui a permis le renversement de pouvoirs stables.
En Libye, l'OTAN a précipité la fin de la dictature de Mouammar Kadhafi, en place depuis 42 ans. En Égypte, les États-Unis ont envoyé des signes clairs et dépourvus d'ambigüité, indiquant que le remplacement du président Hosni Moubarak par les islamistes de l'organisation des Frères musulmans était une solution acceptable, sinon souhaitable.
Dans les deux cas, de nouveaux gouvernements sont arrivés au pouvoir avec l'aide américaine.
Dans mon livre à paraître prochainement, Architects of Disaster : the Destruction of Libya (Architectes du désastre : la destruction de la Libye), j'explique le déroulement des événements qui ont suivi la destitution de Kadhafi.
En pleine guerre civile, le Conseil national de transition soutenu par les États-Unis – et composé d'islamistes radicaux « modérés » ayant combattu Kadhafi – a nommé Sadeq al-Ghariani comme grand moufti, titre que ce dernier a conservé après le retour à un certain calme.
En tant que grand moufti, al-Ghariani, qui occupe ainsi le plus haut rang de la hiérarchie religieuse dans un pays musulman, a déclaré que la charia devait constituer la première source de la législation et que toute loi la contredisant était invalide.
Il a légitimé la polygamie, interdit aux femmes d'épouser des étrangers, ordonné au Ministère de l'Éducation de supprimer dans les livres scolaires des passages sur la démocratie et la liberté religieuse, et fait l'éloge du groupe Ansar al-Charia auquel les États-Unis imputent l'attentat de Benghazi qui a fait quatre morts américains.
Par ailleurs, les autorités britanniques ont accusé al-Ghariani d'inciter des djihadistes ayant des liens idéologiques avec l'EIIL à renverser le parlement régulièrement élu.
La Libye demeure un État déliquescent et profondément divisé entre d'une part un groupe soutenant une jurisprudence conforme au modèle de Mahomet et d'autre part ceux qui se battent pour davantage de réformes démocratiques tout en faisant allégeance à la loi islamique.
En Égypte, le gouvernement dirigé par les Frères musulmans a surtout cherché à consolider son pouvoir plutôt qu'à imposer rapidement des pans entiers de la charia. Cependant, la population musulmane a rapidement désapprouvé les actions et déclarations de dirigeants occupés à organiser une application plus stricte des enseignements fondamentaux du Coran.
Les Égyptiens, déjà mécontents des performances économiques réalisées sous la direction du président Mohammed Morsi, se sont retournés contre lui avant qu'il n'ait pu imposer ce que beaucoup voyaient comme un plan d'introduction graduelle de la charia.
Triste ironie de l'histoire, l'administration Obama – présentée comme le défenseur de la liberté et des droits de l'homme – a soutenu tant en Libye qu'en Égypte des organisations dont le but ultime était, une fois arrivées au pouvoir, de faire appliquer un code de lois soutenu par Mahomet.
Autre ironie de l'histoire, alors que les populations de ces deux pays se battent jusqu'à la mort pour obtenir la liberté politique et luttent contre des interprétations plus radicales de la charia, ce débat peut à peine avoir lieu aux États-Unis. Ceux qui soulèvent le problème sont immédiatement étiquetés comme islamophobes.
Enfin, le troisième cas de charia est celui imposé par l'EIIL qui autorise le génocide des minorités religieuses dans son soi-disant califat, une zone comprenant de vastes portions de territoires en Syrie et en Irak. Ses pratiques sont d'une telle barbarie qu'on a peine à imaginer que quelqu'un aux États-Unis puisse prendre son parti.
Parmi les autres pratiques en application des préceptes religieux de l'islam selon l'EIIL, on note la décapitation et l'immolation des captifs ainsi que la vente des femmes « infidèles » comme esclaves sexuelles. Ici aussi on a des musulmans qui combattent l'EIIL pour des raisons diverses et notamment par obéissance à la charia.
Les politiques et les lois pratiquées par le grand moufti en Libye, par le projet à long terme de l'éphémère gouvernement Morsi en Égypte et par l'EIIL dans son oumma islamiste idéalisée sont incompatibles avec la Constitution américaine.
Si de telles interprétations sont inacceptables, comme le montre l'opposition physique de nombreuses personnes dans la région, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les Américains se demandent si cela pourrait s'appliquer ici.
Comment la charia pourrait-elle fonctionner selon les critères définis par la loi fondamentale américaine ? Et la communauté musulmane américaine serait-elle prête à y adhérer largement ?
Demandons aux candidats démocrates et républicains à l'élection présidentielle de nous faire entendre ce qu'ils ont à dire, pour qu'une véritable discussion parmi les électeurs américains puisse enfin commencer.
Pete Hoekstra a représenté le Michigan au Congrès américain pendant 18 ans, notamment en tant que président de la commission du renseignement de la Chambre. Il collabore actuellement avec l'Investigative Project on Terrorism en tant que Shillman senior fellow et est l'auteur de « Architects of Disaster : the Destruction of Libya ».